Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/254

Cette page n’a pas encore été corrigée

Le Diable disparut alors, en disant à l’oreille de Luizzi :

— Maître, n’oublie pas que c’est toi qui me chasses !

La comtesse, étonnée de cette exclamation d’Armand qui semblait ne s’adresser à personne, le regardait avec inquiétude, lorsque le baron lui dit :

— Pardonnez-moi, Léonie, l’incohérence de ces paroles ; mais pendant votre sommeil j’ai été poursuivi d’idées si tristes, de pressentiments si menaçants, qu’ils ont un moment égaré ma pensée loin de vous.

— Et moi aussi, répondit-elle, pendant cet horrible sommeil qui m’a vaincue, j’ai eu de funestes avertissements, s’il est vrai que Dieu donne quelquefois à un rêve la puissance de comprendre un avenir que notre raison ou plutôt notre cœur n’oserait prévoir.

— Et quel a été ce rêve ? lui dit Luizzi, dont l’imagination toujours frappée par des révélations surnaturelles cherchait incessamment des lumières en dehors des choses qui règlent la conduite des autres hommes.

— Il me semblait, dit la comtesse de cette voix basse qui semble chercher un souvenir et avec ce regard qui plonge dans le passé pour n’en oublier aucun détail, il me semblait que j’étais dans une misérable chambre d’auberge, dans un pauvre village. Toute misérable qu’elle était, on me l’avait donnée dans la maison ; car autrefois, m’avait-on dit, un grand personnage l’avait habitée… Attendez, ce grand personnage, c’était le pape.

— Une chambre où avait logé le pape ? dit Luizzi ; c’est étonnant.

— Non, répondit madame de Cerny, cette chambre existe véritablement à Bois-Mandé ; et comme j’ai pensé plus d’une fois depuis hier à aller chercher un asile près de ce village, dans la maison de ma tante, madame de Paradèze, il n’est pas étonnant que cette circonstance, que j’ai souvent entendu raconter, se soit mêlée au rêve qui m’a poursuivie : je le comprends maintenant. J’étais donc dans cette misérable chambre ; j’étais malade, au milieu d’une nuit froide qui me glaçait à la fois le corps et le cœur…

— Oui, dit le baron tristement, c’est le froid de ce moment qui pesait même sur votre sommeil et qui se mêlait à votre rêve ; c’est votre souffrance vraie qui vous inspirait le sentiment de votre mal imaginaire.

— C’est possible, dit la comtesse ; mais ce qui ne se rapporte à rien de ce que j’ai souffert et senti depuis quelques heures, c’est ce qui m’est apparu dans cette chambre, c’est ce qui a si étrangement coïncidé avec les mots que j’entendais dans mon rêve… et que tu prononçais véritablement près de moi, ajouta la comtesse en se rapprochant de Luizzi.

— Continue, continue, reprit le baron en la tutoyant comme elle venait de le tutoyer, tous deux quittant et reprenant à leur insu ce langage de l’intimité ; le quittant quand ils abordaient un sujet où leur destin commun n’était