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— Qui t’a dit cela ? s’écria le comte emporté par sa colère ; c’est le baron Luizzi peut-être ?

— Ma foi non, répondit Juliette ; c’est le petit du Bergh, qui aujourd’hui racontait à dîner que vous ne pensiez plus qu’à l’ambition et à la politique. D’ailleurs, je conçois très-bien que lorsqu’on aime quelqu’un on ne veuille pas le tromper. Et tenez ! moi, par exemple, je vous jure que, si Henri n’était pas couché maintenant avec sa femme, je n’aurais guère pensé à lui faire une infidélité avec le baron. »

— Oh ! s’écria Luizzi, éclairé tout à coup d’une fatale lumière, cette horrible vision que j’ai subie pendant ma maladie était donc vraie ?

— Ne m’avais-tu pas appelé, dit le Diable, pour apprendre les rapports de Juliette et de Henri ? je t’ai obéi, et je te les ai fait voir de la seule manière qu’il me fût permis d’employer alors.

Et pourquoi n’es-tu pas entré, dit Luizzi, pour me dire que c’était la vérité que j’allais voir ?

— Tu m’as demandé la vérité : tu étais dans le délire du tétanos, tu ne pouvais l’entendre ; je te l’ai montrée, que pouvais-je faire de plus ? D’ailleurs, ne t’ai-je pas dit ce matin : Cherche, souviens-toi, n’as-tu rien à me demander ?

La tête de Luizzi se perdait à travers les épouvantables révélations qui le frappaient coup sur coup. Il oubliait cette femme étendue dans cette voiture, et qui dormait d’un sommeil pénible et fiévreux.

Emporté alors par les craintes de toute sorte dont il était saisi, il s’écria vivement et sans modérer sa voix :

— Achève maintenant, dis-moi tout, Satan ; je t’écoute, je t’écoute.

Et le Diable reprit avec sa froide et railleuse impassibilité :

— Quand Juliette dit au comte : Je n’aurais guère pensé à faire une infidélité à Henri avec le baron, M. de Cerny répondit à cette fille :

« — Vous eussiez eu d’autant plus tort que Henri n’est pas avec sa femme en ce moment et qu’il est sorti.

— Pour courir chez une autre, peut-être ? repartit Juliette.

— Non, répondit le comte ; il ne s’agit pas d’une affaire de femme pour votre Henri, quoiqu’une femme soit pour beaucoup dans la raison qui l’a fait sortir.

— Tiens ! dit Juliette, est-ce qu’il s’agirait d’une maîtresse de ce nigaud d’Armand ?

— Non, dit le comte avec emportement, non ; la femme dont il s’agit n’a jamais été et ne sera jamais la maîtresse du baron Luizzi. »

Satan s’arrêta à ce mot. Puis, fermant les yeux à moitié et riant de son plus mauvais rire, il dit à Armand, en regardant madame de Cerny qui s’agitait dans son sommeil :

— Qu’en dis-tu, mon maître ? voilà bien un propos de mari !