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va où vous êtes venu ; d’ailleurs, je n’en suis pas morte, ni vous non plus, et je crois que, dans ce bas monde, ce qu’il y a de mieux à faire, c’est de ne pas s’occuper du mal quand il est passé. »

Les premières paroles de Juliette avaient exaspéré le comte, mais la fin de la phrase lui fit contenir sa fureur. Il supposa avec raison que la persistance de sa colère pourrait être un aveu des fatales conséquences de sa première rencontre avec Juliette, et il répondit d’un ton plus calme :

« — Vous avez raison, n’en parlons plus !… Et surtout n’en parlez plus, ajouta-t-il en se jetant dans un fauteuil et en faisant signe à Juliette de s’approcher. Puis il continua : En vous voyant chez le baron de Luizzi, je suppose que vous devez avoir plus d’intérêt à mon silence que je n’en puis prendre au vôtre. Soyez donc franche avec moi, et je serai discret pour vous. Vous êtes maintenant la maîtresse de Luizzi, n’est-ce pas ?

— Non, monsieur le comte.

— Avec les mœurs que je vous connais, et à l’heure où je vous trouve chez lui, c’est cependant l’explication la plus honorable que je puisse donner à cette visite. »

Juliette répondit par un petit mouvement assez méprisant, et repartit froidement :

« — Il est possible que ce que vous dites fût arrivé, si je l’avais rencontré, quoique à vrai dire cela ne dût jamais arriver entre nous.

— Le baron ne te trouve-t-il pas à son goût ? dit de Cerny en la regardant de la tête aux pieds.

— Il faudrait qu’il n’en eût pas ! répondit Juliette. D’ailleurs ne faites pas tant le fier, ajouta-t-elle en s’asseyant auprès du comte de Cerny, vous m’avez aimée plus d’une nuit, et, si je le voulais, vous me reviendriez bien de temps en temps. »

La figure du comte se contracta à ces paroles de Juliette ; mais, comme elles lui prouvaient qu’elle était dans une ignorance complète de son désastre, il se contint et lui répondit :

« — Je ne dis pas non, quoiqu’il me semble que tu aies pris des airs de prude qui doivent t’empêcher d’être aussi amusante qu’autrefois.

— Tout cela, c’est bon pour le baron, dit Juliette ; mais je ne veux pas faire de bégueuleries avec toi. Et puis, vois-tu, tu es toujours beau, tu es même plus beau qu’autrefois. Ah ! il faut le reconnaître, mon cher, la sagesse rapporte, » ajouta-t-elle en se penchant amoureusement vers le comte qui, soumis à la fascination et aux regards lascifs de cette femme, recula en pâlissant.

Juliette s’en aperçut, et, se relevant soudainement, elle reprit :

« — N’ayez pas peur ! je ne vous violerai pas ; je sais d’ailleurs que vous êtes incapable de faire une infidélité à votre femme.