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la mauvaise tenue de Satan lui donnait un air de pauvreté crasseuse qui eût convenablement appartenu à ces intrigants de bas étage qui s’inventent des cordons pour escroquer un dîner à des aubergistes confiants ou pour vendre de la pommade aux adjoints de maires de village.

La position où se trouvait Luizzi ne lui laissait pas le temps de s’enquérir des raisons qui avaient engagé le Diable à choisir ce costume équivoque, et, aussitôt que celui-ci eut pris place dans la berline sur la banquette qui faisait face au baron, Armand lui dit à voix basse :

— Apprends-moi ce que fait le comte à Paris à l’heure qu’il est.

— Pour te renseigner convenablement, répondit Satan, je vais reprendre le récit au moment où je l’ai laissé. Avant que je le commence, cependant, laisse-moi te rappeler, mon maître, que c’est toi qui as refusé de l’entendre jusqu’au bout.

— Je le sais. Mais hâte-toi, je ne t’interromprai pas plus que je ne l’ai fait lorsque tu l’as commencé.

— Arme-toi donc de courage ; car, avant de le commencer, je dois te dire aussi que tu vas entendre de singulières choses. Mais enfin, puisque tu veux savoir la vie humaine ou les événements humains dans ce qu’ils ont de plus caché, il faut oser les regarder en face. Ils sont hideux souvent : l’anatomie du corps humain touche à toutes les saletés, celle de la vie humaine serait imparfaite si elle s’arrêtait aux surfaces blanches et pures.

— Mais, hâte-toi donc ! Tu excites sans cesse ma curiosité et tu ne la satisfais jamais qu’imparfaitement.

— Écoute donc.

Et le Diable reprit :

— Je te l’ai dit : Juliette, te croyant rentré et s’irritant de ce que tu n’allais pas au rendez-vous qu’elle t’avait donné, se décida à descendre dans ton appartement et pénétra dans ta chambre au moment où M. de Cerny s’avançait vers elle. À l’aspect d’un étranger, Juliette recula avec confusion ; à l’aspect d’une femme, le comte s’arrêta et salua profondément.

« — Pardon, dit Juliette, je croyais que M. de Luizzi était chez lui.

— Il n’est pas encore rentré, répondit le comte, car je l’attends. »

Tous deux se saluèrent, lui pour rester dans la chambre, elle pour se retirer, mais tous deux en attachant l’un sur l’autre un regard étonné. Juliette sans doute se rappela la première en quelle circonstance elle avait vu l’homme qu’elle retrouvait là si inopinément, car presque aussitôt elle fut prise d’une espèce d’effroi ; elle se retourna avec rapidité comme pour échapper au regard investigateur de M. de Cerny, puis marcha vivement vers la porte. Sans doute aussi l’effroi que sa vue inspira et la retraite précipitée