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fait, et elle sembla plongée dans un complet anéantissement. Luizzi la regarda alors. Pour la première fois de sa vie il sentit en lui quelque chose de cet amour qui appartient aux dernières années de la jeunesse d’un homme, de cet amour qui fait l’homme complet, de cet amour qui protége, qui se dévoue, qui s’appuie sur la confiance qu’on a en soi-même, et qui ne s’alarme pas sur son avenir parce qu’il est basé sur des sentiments d’honneur que nul homme ne se croit capable d’abandonner jamais. Amour saint et pur qui n’a pas l’aveuglement des amours confiants et rêveurs de l’adolescence, ni la fougue impétueuse des passions d’une jeunesse qui a toute sa puissance, mais qui prévoit la lutte qu’il aura à soutenir, qui a compté tous les sacrifices qu’il lui faudra faire, toute la constance qu’il aura à montrer, et qui accepte la lutte avec-courage, s’impose les sacrifices avec joie, se grandit du bonheur qu’il a et plus encore du bonheur qu’il donne. Jamais le cœur de Luizzi n’avait été plein d’un si noble sentiment, et, pour la première fois aussi, il se sentit presque fier de lui-même ; car il voyait une noble existence s’attacher à lui, et il se sentit le courage de ne point lui faillir. Ce fut aussi dans ce moment que, voyant Léonie assez complètement abattue pour ne pas être étonnée de son silence, il pensa à prendre les meilleurs moyens pour la faire échapper à toute poursuite. Pour cela il avait besoin d’être certain de ce qui se passait à Paris ; il appela donc Satan, sachant que sa voix n’était perceptible que pour lui seul, se promettant d’ailleurs de lui répondre de manière à ce que Léonie ne pût l’entendre et ne s’étonnât pas d’un entretien qui, pour elle, ne serait qu’un monologue sans raison. XXVII

CONTRASTE.

Satan parut. Il avait dépouillé son costume d’abbé ; il était exactement vêtu de noir, portait à sa boutonnière un ruban où se trouvaient réunies toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, et qui devait probablement rassembler les signes distinctifs d’une douzaine de décorations. Si avec ce costume le Diable avait eu des mains propres et du linge blanc, il aurait passablement ressemblé à un de ces petits diplomates des petits États allemands, qui passent leur vie à solliciter tous les grands cordons de toutes les petites cours de la confédération germanique ; mais, à part l’habit noir,