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Luizzi regarda cet homme, en s’entendant si bien qualifier. Il crut reconnaître celui qui lui parlait, mais il ne put se le rappeler complètement, et, ne voulant pas engager une conversation avec cet homme quel qu’il fût, il lui dit :

— J’ai oublié de prendre le mien et je suis transi ; je vous le payerai assez cher pour que vous puissiez en acheter dix, s’il le faut.

— Tiens, tiens, dit le charretier, vous êtes donc redevenu riche, monsieur de Luizzi ? tant mieux, ajouta-t-il en dégrafant sa roulière. Ah ! ce n’est pas comme chez nous. Le vieux Rigot est ruiné, la pauvre mère Turniquel est morte, et madame Peyrol, qui a voulu donner tout son bien à sa fille, la pairesse, demeure avec le bonhomme Rigot dans une méchante petite maison à côté de l’ancien château de son oncle ; ils vivent là tous les deux d’une mauvaise pension que leur fait ce monsieur de Lémée, gendre de madame Peyrol.

— Ah ! s’écria Luizzi, éclairé enfin par toutes ces circonstances ; c’est toi, Petit-Pierre ?… tu as donc quitté la poste ?

— Eh ! oui-da. Je l’avais quittée pour être cocher chez le bonhomme Rigot qui m’avait fait de fameuses promesses ; mais il a bien fallu y renoncer… Ç’a été une terrible histoire… Monsieur, mais moins terrible que la scène de la mère Turniquel. C’est que vous ne savez pas ? madame Peyrol n’était pas la fille de la mère Turniquel.

— Quoi ! dit Luizzi… Eugénie… ?

— Il paraît que c’est la fille d’une grande dame à qui on avait volé un enfant dans les temps. La vieille a gardé le secret jusqu’au dernier jour, attendu qu’elle avait peur d’être abandonnée par sa fille qui la nourrissait ; mais à l’article de la mort la peur du diable a remplacé l’autre, et elle a tout avoué.

— Et a-t-elle dit le nom de cette grande dame ?

— Attendez donc, attendez donc ! dit l’ancien postillon, c’est une certaine madame de… Cliny… Cany… Cauny… Cauny, c’est ça. Mais où diable savoir ce qu’elle est devenue, depuis trente-cinq ans ? Ah ! Monsieur, tout ça ne serait pas arrivé si vous aviez voulu épouser cette pauvre femme.

— Cauny ! répéta le baron, mais je connais encore ce nom, je l’ai entendu prononcer quelque part.

Le baron allait peut-être encore interroger Petit-Pierre, quand celui-ci, qui tout en parlant s’était approché de la voiture, recula vivement en s’écriant :

— Ah, mon Dieu ! voilà une pauvre femme qui se trouve mal.

— C’est bien… c’est bien ! s’écria le baron en jetant à Petit-Pierre cinq ou six louis et en remontant rapidement en voiture.

Il vit Léonie entièrement affaissée et renversée sur la banquette : il la releva et la plaça de façon que, ramassée sur elle-même, elle était couchée en travers dans la voiture, tout le haut