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sait la porte de l’hôtel. Il put donc entendre une voix de femme qui s’écriait :

— Tiens, qui est-ce donc qui s’en va en remise ?

— Hé ! répondit une autre, c’est Palmyre, j’en suis sûre, qui joue un tour à son agent de change.

La comtesse s’enfonça violemment au fond de la voiture, tandis qu’une nouvelle voix ajoutait de ce ton criard et chanté qui caractérise si particulièrement la fille de mauvaise vie :

— Hé ! Gustave, puisque vous avez retrouvé Juliette, dites-lui donc de venir voir un peu les anciennes amies. En voilà une lame qui couperait l’herbe sous le pied à la plus adroite !

Sans doute ces noms de Gustave et de Juliette n’eussent pas étonné Luizzi au point de l’alarmer, s’il n’avait cru reconnaître, dans la voix qui répondit à cette interpellation, la voix de Gustave Bridely lui-même qui repartit de loin :

— Juliette a bien autre chose à faire maintenant…

Cette étrange coïncidence jeta un tel étonnement dans l’esprit de Luizzi, qu’il ne put s’empêcher d’avancer la tête à la portière pour voir s’il ne s’était pas trompé, et si c’était véritablement le marquis ; mais un « prenez garde ! » de Léonie, le fit rentrer dans la voiture, et le misérable état de la pauvre femme l’occupa tellement que bientôt il ne pensa plus à la circonstance qui était venue le frapper comme d’un nouvel avertissement. Léonie, retirée dans le fond de la berline, grelottait à la fois et du froid du matin et du froid de la fièvre qui s’emparait d’elle. Ce n’était plus cette femme fière et superbe, dont la beauté d’impératrice et la stature élevée semblaient attester un de ces courages masculins qu’on suppose habiter d’ordinaire les corps à puissantes et larges proportions. C’était une pauvre femme faible, timide, désespérée, pleurant, tremblant, souffrant, sortie soudainement d’une vie de résignation, d’habitudes où aucun malaise physique n’avait jamais pénétré, et jetée tout à coup dans une action à laquelle rien ne manquait, pas même le dénûment des choses les plus nécessaires. Luizzi se rapprocha d’elle et lui parla doucement, la suppliant d’avoir du courage.

— J’en ai, répondit-elle, j’en ai.

Mais ces paroles s’échappaient à travers le claquement de ses dents, et sa voix tremblait comme son corps.

— Oh ! Léonie ! reprenait Luizzi, que crains-tu ? Ta vie est à moi maintenant, et je la défendrai.

— Va ! répondait Léonie d’un ton où il y avait plus de désespoir que de courage, je n’ai pas peur de mourir.

— Je défendrai aussi ta vie de la calomnie ; et, si je ne suis pas assez fort contre le monde, nous fuirons dans quelque