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hier ; aujourd’hui coupable, comme hier innocente, c’en est fait pour moi de tout honneur, de toute considération. Je ne rentrerai plus dans la maison de mon mari ; car, si j’y rentrais, je lui dirais ma faute, et alors il aurait le droit de me punir. Je suis résignée à un exil éternel en ce monde ; mais vous, Armand, vous ne prévoyez pas quelle existence vous donnez à votre avenir ? Plus de mariage possible !… Plus de famille, ou une famille flétrie au front du nom d’adultère que j’ai mérité ! Plus de monde même ; car on cherchera à vous faire payer par toutes les offenses possibles la faute que j’aurai commise à ses yeux. Réfléchissez-y, Armand ; je puis partir seule… J’aurai fui… Mais vous ne serez pas mon complice, il n’y aura que moi de compromise.

— Léonie, reprit Armand, vous m’aviez permis de mourir pour vous ; ai-je mérité de ne pas vivre pour vous ?

— Tu le veux, Armand ? dit Léonie en lui tendant la main ; eh bien donc ! je prends ta vie comme j’avais accepté ta mort, je la payerai de toute la mienne.

— Partons alors ! partons ! dit Luizzi qui avait réglé d’avance sa sortie de cette maison. XXVI

FUITE.

Tous deux quittèrent l’hôtel dans le costume qu’ils portaient l’un et l’autre, lui en habit de visite, elle en robe de mousseline ; car, à l’heure avancée où ils étaient sortis du boudoir, à l’heure où ils s’étaient décidés à fuir ensemble, ni l’un ni l’autre n’avaient pensé à ces nécessités misérables de la vie matérielle qui jettent de si petites douleurs dans les plus grands désespoirs. D’ailleurs, aucun magasin n’était ouvert pour que Luizzi put s’y pourvoir des objets accoutumés en voyage. Ils gagnèrent lentement leur voiture, rencontrés par quelques ouvriers qui prenaient sur la nuit l’heure de marche qui devait les conduire à leur labeur du jour, et qui s’étonnaient de cette femme en cheveux et en mousseline, de cet homme en gants jaunes et en bottes vernies, marchant à pied dans la boue. Cependant ils arrivèrent bientôt devant Frascati, et Luizzi, entendant dans la cour des voix joyeuses de femmes et d’hommes qui sortaient de ce lieu, ouvrit rapidement la portière de la voiture et fit monter Léonie avant que personne pût la voir. Puis, pendant que le cocher quittait son siége, il monta à son tour dans la voiture au moment où le groupe bruyant dépas