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indéfiniment, et mieux qu’aucun romancier ou qu’aucun feuilletoniste, ce qu’il avait à raconter, et pour se jeter dans des digressions morales ou immorales.

— En voilà assez quant à présent, dit-il au Diable, je sais tout ce que je veux savoir pour prendre un parti décisif.

— Tu as tort, lui repartit Satan, écoute au moins la scène de Juliette et de M. de Cerny : ce sera l’affaire d’une demi-heure, quoiqu’elle ait duré plus de trois heures.

— Je sais tout ce que je voulais savoir, car cela me prouve que le comte ne nous a pas poursuivis ou qu’il n’est pas sur notre trace.

— Si peu, dit le Diable, qu’il est rentré à son hôtel et n’en est pas encore sorti.

— Tout me sert à merveille, répondit le baron ; nous pouvons partir sans crainte.

— Tes précautions sont-elles bien prises ? lui dit le Diable.

— Voyons ! répondit le baron, comme pour récapituler tout ce qu’il avait fait et s’en rendre un compte exact. Aussitôt que j’ai eu déposé Léonie dans cet hôtel, j’ai écrit à Henri qui est venu et qui m’a apporté, comme je le lui demandais, l’argent nécessaire pour quitter Paris et faire tous mes préparatifs de voyage.

— Et lui as-tu dit pourquoi tu partais ?

— Non, certes.

— Où tu allais ?

— Encore moins.

— Tu fais des progrès, baron, tu gardes tes secrets pour toi ; et ensuite ?

— Ensuite, dit Luizzi, je suis allé moi-même louer un remise dont le cocher, grâce à ma libéralité, m’a honnêtement promis de crever les chevaux de son maître et de me mener en cinq heures à Fontainebleau.

— Ce cocher me plaît ; et ce remise doit-il venir vous prendre ici ?

— Non, il nous attendra au coin de la rue Richelieu et du boulevard.

Le Diable se mit à rire, et le baron le regarda d’un air étonné.

— Qu’y a-t-il de si drôle là-dedans ?

— C’est l’endroit d’où tu pars qui me semble singulier, dit Satan ; tu aurais pu mieux choisir que la porte d’une maison de filles et d’une maison de jeu.

C’est le cocher qui m’a donné ce rendez-vous, disant qu’il serait moins remarqué que s’il stationnait devant la porte d’une maison où tout serait fermé et tranquille.

— Ce cocher est un galant homme, dit le Diable ; voilà qui dénote une certaine entente des mauvaises affaires. Ce gaillard-là fera son chemin… Et enfin, où en es-tu ?

— J’en suis au point que je n’attends plus que ton départ pour pouvoir effectuer le mien, gagner Fontainebleau, et là prendre de village en village des moyens de transport jusqu’à Orléans, sans qu’on puisse soupçonner de quel côté nous allons.

— Et ta députation ? dit le Diable.

— Je verrai.

— N’oublie pas que je suis à tes ordres pour t’informer de tout ce que tu voudras savoir.

— Tu deviens trop obligeant, Satan.

— Je veux être en règle avec toi, mon maître ; je veux que tu ne puisses dire, comme tu l’as fait