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de Juliette, qui attendait le baron. Lorsqu’elle entendit quelqu’un sonner au premier et bientôt marcher dans l’appartement, elle supposa que le baron était rentré, et alors elle s’attendit à le voir monter chez elle ; mais près d’une demi-heure se passa, et tout resta silencieux. Pierre dormait étendu dans le fauteuil à la Voltaire qui le plus souvent lui servait de lit dans l’antichambre, et le concierge veillait seul, si on peut appeler veiller cette manière de dormir debout qui appartient exclusivement aux portiers de Paris.

Le dépit de Juliette fut grand ; mais sans doute la passion qui la poussait l’était encore plus, car elle osa se décider à aller trouver Luizzi qu’elle croyait chez lui. Le baron avait fait construire un petit escalier intérieur pour monter d’un cabinet voisin de sa salle à manger dans l’appartement de sa sœur. Juliette profita de cet escalier, descendit à pas discrets et s’approcha de la chambre du baron. Elle entendit marcher activement dans cette chambre et s’imagina que Luizzi était en proie à un de ces combats intérieurs qui précèdent le moment où l’on cède à une passion qu’on peut regarder comme coupable. Probablement elle craignit que ces incertitudes ne tournassent point à son profit, et elle poussa la porte. En entrant, elle se trouva face à face avec le comte de Cerny, qui, appelé par le bruit de la porte, s’était avancé vivement vers la personne qui entrait. Tous deux se regardèrent d’abord avec une étrange surprise, puis tous deux… XXV

COMMENTAIRE DU CHAPITRE PRÉCÉDENT.

— En voilà assez quant à présent, dit le baron au Diable en l’interrompant.

En effet, c’était le Diable qui faisait ce récit au baron dans le petit salon d’un appartement d’hôtel garni, pendant que Luizzi l’écoutait avec une attention qu’il n’avait jamais eue jusque-là pour le terrible conteur. Il ne l’interrompait point, ne lui faisait nulle observation quant au style ou à la forme de sa narration qui était tout au moins extraordinaire ; car elle avait l’air d’un chapitre extrait d’un livre qui raconterait des choses passées depuis longtemps. Cette discrétion du baron venait de ce qu’il connaissait l’habileté du Diable à profiter des moindres interruptions pour allonger