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que personne n’était venu depuis onze heures, heure à laquelle il avait quitté le boudoir de sa femme. De là il se rendit chez le commissaire de police de son quartier et lui raconta, sans cependant formuler aucune plainte, la disparition de sa femme, puis s’assura qu’elle n’avait point paru de son côté chez ce magistrat. Sûr alors d’être toujours en mesure de porter l’accusation et non de la recevoir, il se fit conduire chez Armand. On veillait encore dans l’hôtel du baron. Le comte frappa sans bruit et demanda M. de Luizzi. Le concierge lui répondit qu’il n’était point rentré. M. de Cerny insista en disant qu’il s’agissait pour le baron d’une affaire qui l’intéressait au dernier point.

— Cela ne m’étonne pas, repartit le concierge, car il y a une demi-heure à peine un commissionnaire m’a remis une lettre pour M. Donezau, qui venait de rentrer avec sa femme et mademoiselle Gelis. Cette lettre était de la part de M. le baron et devait être remise sur-le-champ à M. Henri. Le commissionnaire était si pressé que je l’ai montée moi-même chez M. Donezau, où tous les domestiques étaient couchés. Je l’ai trouvé seul debout, ainsi que Madame ; et à peine Monsieur a-t-il eu lu la lettre, qu’il a dit à sa femme : « Il faut que je sorte sur l’heure… » et, un moment après, je lui ai tiré le cordon. Il n’est pas revenu non plus.

— Mais le baron va rentrer sans doute ? répondit M. de Cerny, et l’affaire est tellement urgente qu’il est nécessaire que j’attende son retour ou celui de M. Donezau, son beau-frère.

— Cela vous est très-facile, repartit le concierge ; vous n’avez qu’à monter chez M. le baron, son valet de chambre vous ouvrira, et vous pourrez attendre son retour tant qu’il vous plaira.

— Vous avez raison, dit M. de Cerny. Tenez, voilà deux louis. Il est inutile de dire à M. de Luizzi que quelqu’un l’attend ; excepté son valet de chambre, personne ne doit le savoir.

En effet, M. de Cerny monta chez le baron. Il sonna doucement, ne voulant pas qu’on put entendre de chez Caroline, qui peut-être avait été instruite, par la lettre apportée à son mari, de l’événement arrivé à son frère, et qui eût fait prévenir Luizzi que quelqu’un était chez lui. Il fit un nouveau conte au valet de chambre ! conte appuyé d’une large gratification. D’ailleurs Pierre, en valet de chambre de bonne maison, connaissait tous les noms un peu sonores et presque tous les visages de l’aristocratie. Aussi, quand il vit le comte de Cerny, il le laissa pénétrer dans l’appartement de son maître et l’y installa.

Malgré l’étonnement de Caroline en voyant son mari la quitter si soudainement, malgré l’alarme qu’elle en éprouva, il y avait dans la maison une oreille plus éveillée que la sienne : c’était celle