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de la lumière, l’ingénieux valet, au lieu de laisser sur la cheminée le premier flambeau venu, se mit en devoir d’allumer la lampe ; il monta sur une chaise, et la première chose qu’il trouva fut le soulier du Diable, qu’il jeta à terre comme s’il eût touché un serpent, en s’écriant :

— Tiens, qu’est-ce que c’est que ça ?

L’apparition de ce soulier et l’usage auquel il avait servi parurent au comte une méchante plaisanterie, et il le foula aux pieds avec fureur en pensant qu’il était à la merci, non-seulement du propriétaire de ce soulier, mais encore à la merci du baron et de Léonie. Il dut cependant à cette rage inconsidérée de trouver quelque chose qui, sans cela peut-être, aurait échappé à son attention. Il aperçut à terre des papiers déchirés. C’étaient les morceaux épars des lettres écrites par Luizzi et la comtesse. M. de Cerny les ramassa avec soin et les rassembla de manière à en prendre connaissance. Il renvoya tous les domestiques et lut cette singulière correspondance. Il comprit alors que l’imprudence des fugitifs avait laissé des armes terribles dans ses mains.

Sans doute de pareilles lettres n’eussent pas suffi à faire condamner une femme comme adultère ; mais ces lettres, dont rien au monde, sinon l’assertion des accusés, ne pouvait faire soupçonner l’authenticité, pouvaient les perdre, jointes, comme elles étaient, à leur fuite au milieu de la nuit, ensemble, par une fenêtre, et lorsque la conduite patente du mari, sa violence même qui avait eu des témoins, devait faire croire qu’il les avait voulu surprendre dans une conversation criminelle, et qu’ils s’étaient échappés au risque de leur vie. Toutes ces circonstances, disons-nous, parurent merveilleusement se grouper et s’entr’aider pour que le comte y démêlât, au premier coup d’œil, la base d’une accusation d’adultère contre sa femme. La vérité, d’ailleurs, ressemblait trop à un conte fantastique, quand bien même Luizzi et la comtesse oseraient la dire. Cependant ils le pouvaient, soit en allant sur-le-champ chez un magistrat, soit en se rendant directement chez le vieux vicomte d’Assimbret ; et M. de Cerny, avant de tenter une démarche dans un sens quelconque, voulut s’assurer de ce qui avait pu arriver.

Ne voulant mettre aucun de ses domestiques dans la confidence de ce qu’il allait faire, après les avoir mis malgré lui dans la confidence de la fuite de sa femme, le comte prit de l’or, une canne à épée, et sortit à pied. Il monta dans la première voiture de place qu’il rencontra, et se fit conduire chez son beau-père. Il était à peu près une heure du matin quand il quitta son hôtel. Il n’entra point chez le vicomte, fit seulement appeler le concierge, et s’assura