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de valets bien élevés, ils laissent rugir l’orage en paix et la foudre éclater sur le mobilier ; puis ils en ramassent le lendemain les débris, en ayant soin de faire disparaître quelque joli petit objet précieux qui est censé avoir péri dans la bagarre et qui va se cacher au fond de leur malle ou se montrer chez les marchands d’occasion. Mais, il faut le dire, la maison de M. de Cerny n’était pas faite à ces excellentes habitudes. Tout s’y passait avec une dignité et un calme constant ; de façon que, lorsque les domestiques entendirent frapper à une porte à coups redoublés, ils crurent que c’était un accident qui arrivait au comte ou à la comtesse, un incendie, des voleurs, qui sait ? et quelques-uns accoururent, moitié vêtus, au moment où le comte, après des efforts inouïs, brisait la porte et pénétrait dans la chambre en renversant tous les meubles qu’on avait entassés derrière. Le comte se trouva dans la plus profonde obscurité et s’écria avec rage :

— Où êtes-vous tous les deux, où êtes-vous ?

À ce moment il vit une ombre apparaître à la porte, et, plus prompt que l’éclair, il se jeta de ce côté en tirant un coup de pistolet. Tout aussitôt il entendit la chute d’un corps humain, puis un grand cri ; et une voix, qui n’était ni celle du baron, ni celle de la comtesse, se mit à crier :

— Au secours, au secours !

C’était la voix du valet de chambre de M. de Cerny. Dans la rage qui le transportait, le comte chercha encore ses prisonniers dans l’obscurité, décidé à leur faire payer le sang qu’il venait de verser. Il alla ainsi, frappant les murs, se heurtant aux meubles, jusqu’à ce qu’il arrivât à la croisée dont le rideau était baissé. Il supposa que les malheureux étaient cachés là, et tira le rideau avec violence. La fenêtre était ouverte.

De toutes les idées simples, la plus simple n’était pas venue au comte, c’est que les fenêtres sont des issues comme les portes, un peu plus dangereuses sans doute, mais en tout cas préférables à un coup de pistolet et à un déshonneur sans profit.

À cet aspect, le comte resta pétrifié, tandis que les domestiques accouraient et que le valet de chambre, sur qui le comte avait tiré, se tâtait pour s’assurer s’il n’avait rien de brisé. La stupéfaction du comte se changea en rage furieuse en se voyant ainsi entouré, et il donna l’ordre à ses gens de rallumer un flambeau et de se retirer. L’un d’eux, une de ces natures de valet qui apprennent leur devoir d’une certaine façon et qui ne l’accompliraient pas d’une autre façon au milieu des désastres les plus effrayants, avait été habitué à éclairer le boudoir en allumant la lampe de cristal qui veillait au milieu ; par conséquent, lorsque le comte demanda