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épargnerais ! Ah ! dites un mot, Léonie, un mot, et je vous sauverai. Comprenez-moi, je vous en supplie. Quelque malheur qui vous menace, je puis vous y arracher en l’appelant tout entier sur moi. Oh ! s’il vous faut mon honneur, il est à vous, vous le savez… S’il vous faut ma vie, elle est à vous, et je puis ne pas la perdre sans qu’elle vous protége ! Prenez-la donc, Madame ; car elle me sera trop payée si vous devez me dire, avant que je ne l’engage dans une lutte mortelle : « Armand, j’aimerai votre mémoire ! »

Madame de Cerny pleurait encore quand Luizzi eut achevé la lettre.

— Tenez, lui dit le baron avec un vif accent de prière, lisez… lisez bien.

La comtesse parcourut d’abord la lettre sans pouvoir la lire, puis elle essuya vivement ses yeux et la relut lentement et avec une attention profonde. Quand elle l’eut achevée, elle leva sur le baron un regard haletant et interrogateur, et lui dit d’une voix où la joie murmurait à travers les larmes :

— À qui faut-il que je réponde, Armand ?

— À moi, Léonie ! s’écria-t-il en tombant à genoux devant elle.

— À vous, Armand, n’est-ce pas ? à vous, ici, et à cette heure ?

— À moi, ici, à moi qui mourrai pour vous sauver.

— Eh bien ! Armand, s’écria Léonie, je vous répondrai à vous : Non, je n’aimerai pas votre mémoire… car je vous aime !

— Oh ! s’écria le baron en prenant toutes les lettres écrites et en les déchirant dans un transport d’héroïque fierté, vienne le comte maintenant, et il faudra qu’il m’assassine dix fois avant d’arriver jusqu’à vous, Léonie !

— Non, Armand, non ; si tu meurs, je mourrai ! répondit la comtesse dont le visage laissait éclater une exaltation égarée. Je mourrai déshonorée pour tous, innocente pour toi seul !…

Elle s’arrêta, et regardant Luizzi d’un œil fier et flamboyant, elle reprit :

— Coupable pour toi seul, si tu le veux !

— Léonie ! s’écria le baron en la saisissant dans ses bras, dis-tu vrai ?

— Oui, oui !… reprit-elle d’une voix mourante, je suis à toi ! à toi… que j’aime !

Et en parlant ainsi, elle cachait sa tête dans ses mains, tandis que Luizzi l’emportait, folle et désolée, vers le divan où elle était si belle et si paisible une heure auparavant.

Elle s’y laissa tomber en se cachant toujours les yeux de ses mains, et murmura d’une voix étouffée :

— Oh ! cette lumière !

Luizzi voulut souffler la bougie qui brûlait dans la lampe de cristal, mais il ne put y atteindre ; et tandis que Léonie enfonçait