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empreint dans mon cœur, je vous le jure, et c’est ce dont il faut que vous soyez bien persuadée.

— Je voudrais vous remercier de votre bonne opinion, monsieur de Luizzi, répondit la comtesse en lui jetant un regard comme on tend la main à un ami. Mais le temps ne nous appartient pas ; il faut que j’écrive, ajouta-t-elle d’une voix trempée de larmes.

Elle reprit la plume, et écrivit :

« Je vous remercie de votre amour, Monsieur ; je vous remercie même de cet enthousiasme qui va au delà de votre amour, non que je croie le mériter comme vous le dites, mais parce que je suis heureuse de l’avoir inspiré à un homme comme vous, même alors qu’il se trompe. Je ne suis pas l’ange voilé de la beauté ; car vous connaissez tout de moi, excepté peut-être ce que je n’ose montrer de douloureuses blessures. Le sanctuaire de mon âme n’a pas ces lumières éblouissantes que vous imaginez, et peut-être seriez-vous bien étonné, en y pénétrant, de voir que c’est un sanctuaire de deuil et un asile de désespoir. Vous comprenez alors pourquoi je vous remercie de votre amour ; gardez-le tel qu’il est, bon et indulgent pour moi, noble et dévoué comme vous-même. »

En écrivant ceci, madame de Cerny laissait couler d’abondantes larmes qu’elle essuyait de temps en temps pour reprendre ensuite la plume et continuer.

— Voyez, dit-elle à Luizzi d’une voix entrecoupée, voyez ce que j’ai répondu. Ah ! je ne me sens plus le courage de continuer cet horrible jeu.

— N’oubliez pas qu’il y va de votre vie.

— À quoi me servira de la garder maintenant ? Une vie qui sera sans honneur et qui aura été sans amour !

La comtesse cacha son visage et ses larmes dans ses mains pendant que Luizzi lisait sa lettre. Lorsqu’il eut terminé sa lecture, il regarda Léonie ; mais elle était toute à son désespoir, et le baron, s’asseyant alors en face du secrétaire avec un singulier mouvement de résolution, se mit à écrire rapidement.

« Vous ai-je mal comprise, Madame ? Cette vie que le monde dit si sereine et si heureuse serait-elle une longue suite de tortures courageusement souffertes ! Ce calme de votre âme, qu’on a osé accuser de froideur, ne serait-il que le masque riant qui cache le regret et le désespoir ? Serait-il vrai que cet amour que je ressens pour vous, que cet amour, plus vrai, plus puissant que je ne vous l’ai dit, serait-il vrai qu’il vous fût une consolation ? Oh ! si je pouvais l’espérer, Madame ! Si j’osais le croire, ces douleurs que vous souffrez, ces dangers que vous pouvez courir, je vous les