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laissez entrevoir les charmes inconnus et mystérieux qui dépassent tous ses rêves ? Oh ! Madame, celui à qui vous daignez vous dévoiler ainsi en est-il digne ? Le néophyte ébloui et ravi des lumières qui inondent le parvis du temple craint de ne pouvoir supporter le rayonnement de la clarté céleste qui s’échappe à travers le seuil entr’ouvert du sanctuaire ; et moi, devant vous, je suis incertain et tremblant comme lui, redoutant de ne pouvoir plus vous aimer davantage quand je vous aimais à peine assez pour ce que je connaissais de vous. Oui, Madame, quand je vous aimais de tout le pouvoir de mon âme, je m’imaginais que vous ne pouviez me demander plus ; et voilà que je découvre que j’ai donné tout mon cœur à ce qui n’était qu’une partie de vous-même. Vous avez été à la fois trop bonne et trop cruelle pour moi ; vous avez fait comme l’ange de la beauté qui passe voilé devant un misérable mortel. À la majesté de son port, à la grâce de son allure, à la suavité de sa marche, l’insensé lui donne tout ce qu’il a d’admiration ; puis l’ange, en passant, relève un pan de sa robe, soulève un coin de son voile, et l’infortuné se demande de quel hommage il saluera cette beauté du ciel qu’il ne soupçonnait pas. Alors il s’incline et demande grâce. Voilà donc ce que je dois faire aussi, moi ; car cette lettre que vous m’avez écrite, c’est le seuil entr’ouvert du sanctuaire, c’est la robe qui s’écarte, c’est le voile qui se soulève, c’est votre cœur dont j’ai entrevu la lumière et la beauté. Oh ! pardonnez-moi de ne pas vous aimer plus que je ne vous aimais, mais nul homme ne peut rien au delà de son cœur et de sa vie. On ne peut mourir qu’une fois pour celle qu’on aime, on ne peut l’aimer plus que l’âme ne peut contenir d’amour.

« ARMAND DE LUIZZI. »

Quand la comtesse eut achevé cette lettre, elle posa la main sur son cœur comme pour en contenir les battements, puis elle dit, en s’efforçant de jeter un sourire sur son émotion :

— Cette lettre est bien folle, Monsieur ; on n’en écrit guère de pareilles dans le monde, et vous ne donnerez pas beaucoup de vraisemblance au misérable roman que nous faisons.

— C’est que peut-être, Madame, dit Luizzi, ce n’est plus à la femme imaginaire que j’ai répondu avec une passion imaginaire, c’est que peut-être c’était à vous véritablement que je parlais ; car j’ai raison dans cette lettre, je sais de vous ce que le monde en ignore, je sais ce qu’il y a de noblesse et de force en votre âme, je sais que nulle femme n’a autant mérité que vous l’adoration et le respect des hommes, et qu’aucun n’en peut avoir assez pour vous. L’expression de ce sentiment peut être folle, Madame, mais il est sincèrement