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dans le cœur. Mais nous ne sommes pas en position de faire de longs combats de sentiment. Lisez.

Le baron lut la lettre et la relut comme la comtesse avait fait de la sienne, et il lui dit alors d’un ton de mélancolique raillerie :

— De quoi vous plaignez-vous donc, Madame, en disant que les hommes peuvent faire un jeu de l’expression des plus doux sentiments ? Croyez-vous que, lorsque le désespoir où vous êtes a pu vous dicter cette lettre, il n’est pas affreux de penser qu’une coquette eût pu l’écrire à un homme qui aimerait sincèrement ?

— Je ne crois pas, dit madame de Cerny avec une naïve franchise, qu’une coquette eût pu la faire ainsi ; car j’ai interrogé mon cœur pour vous répondre, comme vous l’avez fait pour m’écrire. Je me suis demandé ce que j’aurais éprouvé si jamais j’avais été aimée de l’amour que vous m’avez exprimé, et voilà ce que j’ai pensé.

— Oh ! c’est donc ainsi que vous auriez répondu si cet amour eût été vrai ? dit le baron, dont le regard embrassa ce charmant visage, si beau dans sa tristesse, si résigné dans sa douleur.

— Oui, vraiment, je le crois, répondit madame de Cerny ; mais qu’importe ? Hâtons-nous, finissons cet épouvantable roman. À vous, Monsieur… à vous.

Le baron prit la plume, mais cette fois il ne s’arrêta point à rêver avant de commencer sa lettre ; il écrivit rapidement et presque avec l’action d’un homme qui écoute son cœur et qui le laisse parler. Et madame de Cerny suivait attentivement les agitations rapides du visage d’Armand, où se traduisaient déjà les sentiments divers qu’il traçait sur le papier. Il y avait une si franche vérité dans cette expression involontaire de ce que Luizzi feignait d’éprouver, qu’on eût pu croire qu’il l’éprouvait réellement. Aussi la comtesse, qui l’avait suivi attentivement du regard, n’attendit pas qu’il lui remît sa lettre. Elle lui dit dès qu’il eut fini :

— Voyons, voyons. Elle prit la lettre et la lut :

« Madame,

« Qu’est-ce donc que vous demandez à celui qui vous aime, quand votre seul aspect, votre seul abord, le ravissent et le troublent ; quand ce que vous êtes pour tous en grâce et en beauté, quand ce que vous montrez au monde de votre âme suffit pour jeter dans la sienne l’amour le plus saint et le plus dévoué ? De quel amour voulez-vous donc qu’il vous aime lorsque vous soulevez pour lui un coin du voile impénétrable derrière lequel se cachent les beautés chastes et innocentes de votre âme si pure ; lorsque, dépouillant un moment pour lui ces attraits éblouissants que vous portez en tous lieux et qui appartiennent à tous, vous lui