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et je ne condamne pas sans rémission la faute qui vous a livrée à Arthur. Cette faute, je l’oublierai, elle est oubliée… mon amour ne veut pas la connaître. Ce qu’il a appris ne changera rien à ce qu’il a résolu, et, si vous daignez m’écouter, dans quelques jours, demain, vous pourrez mépriser du haut de votre fortune et braver tous ceux qui ont voulu vous faire du mal, Arthur lui-même, l’insolent Arthur.

La tentation était assez bien arrivée, ce me semble, dit Satan en s’interrompant ; l’heure n’en pouvait être mieux choisie, le langage n’en pouvait être mieux approprié à l’oreille qui devait l’écouter.

— Oui, dit Luizzi ; mais toutes ces rencontres me semblent au moins invraisemblables.

— C’est que le vrai est presque toujours au delà de votre intelligence. C’est pour cela que vos hommes de génie ont inventé le vraisemblable ; c’est de leur part une lâcheté, c’est une flatterie pour la sottise commune. D’ailleurs, à quoi me servirait d’être le Diable si je n’arrangeais pas un peu mieux les événements de mes drames que ne font vos romanciers ?

— Ainsi, dit Luizzi, tu employas tout ce que tu as de puissante ruse pour faire succomber une pauvre fille ?

— Oui, repartit Satan, et j’ai été vaincu.

— Vaincu ? répéta Luizzi.

— Oui, reprit le Diable. Après ce qu’Eugénie venait d’entendre, elle répondit à lord Stive :

« — Milord, en me disant que vous me croyez innocente, vous me dictez la conduite que je dois tenir. Cette estime que vous m’avez montrée, quoique la proposition que vous m’avez faite me prouve combien peu elle est sérieuse, je veux y croire ; cependant, je veux vous y faire croire en vous prouvant que je la mérite.

— Miss, reprit lord Stive, réfléchissez, ne refusez pas un homme qui peut se dire l’un des plus puissants de l’Angleterre…

— Non, milord, non, reprit Eugénie d’une voix froide, mais entrecoupée par l’oppression de son cœur. Je n’accepte pas… Je ne veux pas accepter… Je vous pardonne… Je ne vous en veux pas… Je ne vous demande que de me permettre de me retirer.

— Pas ainsi, miss, pas ainsi ; tant de calme après un si violent désespoir doit me faire craindre une funeste résolution.

— Non, milord, non, je ne mourrai pas. Je suis mère, je vivrai. »

C’est alors qu’elle m’échappa, s’écria Satan. Trois fois j’ai eu le suicide contre cette femme, trois fois elle en a été sauvée. L’effroi de la misère me restait. J’essayai. Lord Stive, qui voulait savoir jusqu’au fond l’âme d’Eugénie pour pouvoir mieux s’en emparer, reprit aussitôt :

« — Osez implorer notre loi anglaise, allez déclarer devant un