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et qui se décide enfin à parler, il écrivit sur-le-champ la lettre suivante :

« Madame,

« Il est des dangers auxquels la plus pure vertu ne peut faire échapper une femme, car il est des délires que toute sa modestie ne peut prévenir. Quand elle inspire l’amour, même sans le vouloir, il faut qu’elle se résigne à en entendre l’aveu. Si cet aveu lui paraît une offense et si sa fierté en souffre, elle doit penser qu’entre la fierté qui s’indigne et le cœur qui aime, la pitié doit être pour la plus cruelle souffrance, et elle doit pardonner ; vous me pardonnerez donc, Madame. D’ailleurs ce que j’ose vous écrire n’est pas nouveau pour vous. L’amour même, quand il est muet, porte avec lui une conviction qui persuade une femme : elle sent qu’elle est aimée longtemps avant qu’on le lui dise, c’est un langage du cœur au cœur qu’elle ne peut méconnaître. Celle qui écoute, avec sa vanité, les flatteurs hommages du monde, peut se laisser tromper ; mais celle qui comme vous a gardé la naïveté de ses émotions, au milieu des plus sévères préoccupations de l’esprit, ne peut s’abuser sur ce qu’elle inspire. L’âme a une oreille qui n’entend que la voix de l’âme, et qui l’entend malgré tout. Ce n’est pas que je veuille dire qu’elle soit heureuse ou flattée de cette confidence d’un amour si vivement ressenti ; mais ce que j’ose affirmer, c’est qu’elle n’en peut nier la sincérité, et c’est la seule consolation où j’aspire. En vérité. Madame, vous ne pourriez refuser votre estime à un homme qui s’éprendrait avec ardeur pour la plus belle et la plus noble image de Dieu, qui se mettrait à genoux devant son œuvre la plus sainte et la plus parfaite ; et faudra-t-il que je sois coupable parce que vous êtes cette céleste image et cette œuvre accomplie, et que je m’agenouille devant vous ? Cela ne serait pas juste, et la justice vous appartient comme la beauté ; car, comme elle, elle vient du ciel. Vous m’avez donc pardonné.

« ARMAND DE LUIZZI. »

Quand le baron eut fini cette lettre, il la remit à la comtesse qui, les yeux tristement fixés sur lui pendant qu’il écrivait, semblait plaindre cet homme qu’elle avait mis dans cette affreuse alternative de la mort ou du déshonneur. La comtesse prit la lettre et la lut d’abord rapidement. Puis elle la recommença. Un doux et triste sourire effleura ses lèvres, et elle dit au baron :

— Voilà qui est douloureux, Monsieur, et qui fait évanouir bien des rêves.

— Pourquoi donc, Madame ?

— C’est qu’il faut reconnaître, Monsieur, qu’un homme peut parler à une femme de l’amour