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le désespoir peint sur le visage… Jamais elle ne lui avait paru aussi belle. Il s’approcha de Léonie :

— La vie et la mort sont au même prix, dit le baron… c’est à vous à choisir entre elles.

La comtesse le regarda longtemps, comme pour pénétrer ce qu’il y avait de vrai dans le cœur de Luizzi. Puis elle se releva et lui répondit lentement, comme si elle eût voulu qu’il comprît bien chacune de ses paroles :

— Obéirez-vous à ce choix, quel qu’il soit, Monsieur ?

Le baron hésita et répondit enfin avec résolution :

— J’obéirai.

— Écrivons donc, Monsieur, dit la comtesse.

— Écrivons, dit Luizzi en poussant un profond soupir et dans un tel état de trouble que véritablement il ne savait si c’était pour son salut ou pour celui de la comtesse qu’il prenait cette lâche résolution.

— Allons, lui dit madame de Cerny en ouvrant un petit secrétaire, écrivez, Monsieur ; car je ne crois pas que ce soit d’ordinaire une femme qui commence une correspondance amoureuse.

Luizzi s’assit devant la tablette doublée de velours et prit une plume ; mais, au lieu d’écrire, il se mit à rêver.

— Eh bien, Monsieur, lui dit madame de Cerny, refusez-vous de me sauver ?

— Non, dit Luizzi. C’est moi dont les imprudentes paroles vous ont perdue, moi dont l’infernale curiosité, reprit-il vivement, a amené cette catastrophe… je dois vous sauver puisque vous voulez vivre, vous sauver au prix de mon honneur. C’est une condition de la fatale destinée à laquelle je suis voué : qu’elle s’accomplisse, je suis prêt…

Il prit encore la plume et écrivit très-rapidement le mot Madame ; mais, après cet effort d’imagination, il ne put aller plus loin. Rien ne lui venait de ces douces phrases avec lesquelles il avait tant de fois joué, et il se remit à rêver en regardant madame de Cerny. Elle s’était assise en face de lui et à côté du secrétaire ; l’effroi de sa position avait ajouté à la beauté de ses traits une expression exaltée qui arrêta les regards de Luizzi. Il la contempla quelques moments, il admira cette noble et céleste figure si gracieuse et si souriante un moment auparavant, maintenant si pâle et si épouvantée. Le baron pensa alors que ce changement si triste pourrait être bientôt plus affreux, et que, s’il hésitait plus longtemps, cette femme si jeune et si belle serait bientôt un cadavre glacé et sanglant, et à l’instant même une noble résolution de la sauver le prit au cœur. Car, il faut le dire, à ce moment il s’oublia complètement lui-même, et, se bâtissant aussitôt dans la pensée le roman d’un homme qui a vu une femme, qui l’a entourée d’hommages