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première exaltation. Luizzi n’en était plus à ces beaux mouvements de bravade où il invitait le comte à le tuer. Madame de Cerny, abattue par la nature des sensations qu’elle avait éprouvées, était tombée sur ce divan où elle paraissait si belle une heure auparavant, et le comte, retiré à l’entrée du boudoir, ne se sentait plus ce transport furieux qui aurait pu, dans un des divers endroits de cet entretien, lui faire exécuter son horrible projet. Mais à mesure que le courage lui manquait, la réflexion revenait pour l’irriter. Il ne s’agissait plus pour lui, en effet, d’éviter un ridicule dont la crainte l’avait poussé à des menaces si épouvantables ; c’étaient ces menaces même dont il lui fallait anéantir le souvenir. La comtesse et Luizzi ne pouvaient sortir de ce boudoir après ce qu’il avait osé leur dire. Cette pensée tortura longuement la tête du comte, sans toutefois lui rendre la furieuse résolution qu’il avait usée dans cette longue dispute. Il en était réduit à cet horrible besoin de tuer par nécessité et non plus par colère, lorsque, s’exaspérant tout à coup contre lui-même, il reprit, comme un homme qui cherche à s’étourdir par ses propres cris et à s’animer par des mouvements désordonnés :

— Allons, baron, allons, Madame, vous l’avez voulu, que votre volonté soit faite !

En disant ces mots, il dirigea le bout de l’un de ses pistolets contre le baron, qui recula en poussant un cri.

— Ah ! vous avez peur ? dit M. de Cerny, qui, malgré lui, ne pouvant plus se monter jusqu’à l’égarement nécessaire à un pareil crime, saisit rapidement toute chance de l’éviter.

— Peur ! dit le baron, en surmontant ce premier mouvement de faiblesse ; non, monsieur le comte. Mais il est des dangers auxquels nul homme n’est préparé ; ceux d’un assassinat lâchement prémédité sont de ce nombre.

— Eh bien ! dit le comte, vous pouvez vous sauver tous les deux. Ce que je vous disais tout à l’heure, vous pouvez l’accomplir, et de manière à me satisfaire. Voici comment : Madame va vous écrire quelques-unes de ces lettres qu’on envoie à un amant, des lettres à des dates différentes, entendez bien ; vous ferez des réponses à ces lettres, telles qu’elles puissent prouver que Madame a été votre maîtresse. Je veux une véritable correspondance amoureuse d’amants heureux ; et enfin vous m’en écrirez chacun une à moi-même, où vous direz que vous me remettez cette correspondance, en reconnaissant que je vous ai fait grâce de la vie à tous les deux, à l’un comme à un lâche, à l’autre comme à une femme déshonorée. Une fois que j’aurai ces preuves en main, vous pourrez vivre, et je vous rendrai la liberté de sortir d’ici, si cela vous convient.

— Jamais ! s’écria le baron.