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Le comte, par un mouvement emporté, ramassa le soulier et l’examina avec une sombre attention.

— Il est d’une rare coquetterie, dit-il, et peu d’hommes pourraient le chausser.

— Je le crois ! dit Luizzi, qui se trouvait en veine de présence d’esprit.

Le comte jeta un regard rapide sur les pieds du baron, comme pour les comparer au soulier qu’il tenait. Il sembla reconnaître qu’il ne pouvait appartenir à Luizzi, et murmura d’une voix basse et lente comme un homme à qui vient une idée qui s’éclaircit peu à peu :

— Il y a peu d’hommes, en effet, qui puissent chausser un tel soulier ; mais il y en a un que l’on vante pour l’élégance de son pied mignon et pour le soin qu’il a de le produire ; et celui-là… celui-là peut-être est le seul à qui une femme oserait confier un tel secret, sans croire manquer à ses devoirs ; celui-là serait peut-être aussi plus infâme qu’un autre, s’il l’avait trahi ; celui-là…

Le comte, en parlant ainsi, retournait le soulier en tous sens, lorsque tout à coup il s’approcha vivement de la bougie, car il avait découvert un nom écrit, comme c’est l’habitude, au fond du soulier, et il s’écria tout à coup :

— C’est lui !… c’est l’abbé Molinet !… c’est votre confesseur, Madame !

— L’abbé Molinet ! s’écria madame de Cerny. Jamais, je vous le jure !…

— Oh ! ne mentez pas ! dit le comte d’un ton devenu tout à fait sévère ; ne détruisez point par des serments inutiles la seule chance que j’aie de vous pardonner. Un prêtre ! un prêtre ! trahir le secret de la confession ! Mais celui-là est capable de tout. Le désordre qu’il a jeté dans la maison de M. d’Arnetai prouve assez jusqu’où il peut porter ses indignes investigations. Mais, en vérité, Madame, je croyais qu’il n’y avait que la sottise d’une femme comme madame d’Arnetai qui pût se laisser dominer par les conseils impudiques d’un prêtre effronté.

La comtesse regardait Luizzi avec un étonnement que le baron comprenait, mais qu’il ne pouvait ni ne voulait expliquer. En effet, il croyait entrevoir la possibilité que la rage du comte se tournât contre un autre que lui-même, et, dans le péril pressant où il se trouvait, il ne se sentait pas la générosité de se sacrifier à la sûreté d’un innocent, que le Diable, après tout, saurait bien défendre, puisque c’était lui qui l’avait compromis. Le comte gardait aussi un terrible silence ; enfin, il regarda tour à tour Luizzi et la comtesse.

— Ainsi, dit-il, vous êtes trois qui savez cet horrible secret ? c’est toujours le même compte de victimes ; car vous, Madame, je vous pardonne. Vous êtes dévote ; je n’ai pas pu empêcher cette passion, je ne puis donc vous en vouloir. Quant à vous, baron de Luizzi, il faut mourir.