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que, si vous êtes capable de faire ce que je vous demande, vous sortirez d’ici après avoir possédé la plus belle, la plus noble, la plus séduisante femme du monde ; tout ce que vous avez d’esprit et de séduction ne vous donnera jamais une si charmante maîtresse… Mais, voyons donc, Monsieur : c’est dans les grandes circonstances que se montrent les grands cœurs !

— Ah ! repartit Luizzi avec dégoût, vous êtes un infâme !

— Eh bien ! s’écria la comtesse en se relevant d’un air égaré, j’accepte, moi. C’est par ma curiosité que j’ai conduit M. de Luizzi dans le piége où il doit périr ; s’il faut mon honneur pour le sauver, qu’il le prenne ! Je me donnerai à lui… je le sauverai !

Le comte devint livide à cette réponse ; mais il renferma la nouvelle rage qui s’allumait en lui, tandis que Luizzi s’écriait :

— Oh ! Madame, Madame, votre douleur vous égare…

— Ceci n’est pas galant, monsieur le baron, dit le comte en riant. Voyez ! Madame se prête de bon cœur à la plaisanterie : est-ce que cela vous est plus difficile qu’à elle, mon cher Monsieur ? Que vous manque-t-il donc pour obtenir le plus ineffable des bonheurs ?

Rien ne peut exprimer la rage de Luizzi, tremblant au bout d’un pistolet et pour un sujet pareil. D’ailleurs, ce qui lui arrivait était tellement en dehors de toutes les positions où un homme peut se rencontrer, qu’il en était plus encore abasourdi qu’épouvanté. Ce fut alors que, ne sachant que dire, il s’écria :

— Allons, Monsieur, tirez là, au cœur. Finissons-en, tuez-moi vite : vous avez quelque intérêt à ne pas me manquer.

En disant ces paroles, le baron écarta violemment son habit pour mieux présenter sa poitrine à la balle de M. de Cerny, et le soulier du Diable, qu’il avait mis dans sa poche, s’échappa et roula sur le tapis. Par un mouvement machinal, le comte jeta les yeux sur cet objet ; et, soit que le soulier l’étonnât véritablement, soit qu’il ne fût pas fâché de trouver un prétexte pour reculer encore l’exécution d’un crime qui l’épouvantait malgré lui, il reprit de son ton railleur :

— Pour Dieu ! voilà un singulier portefeuille !…

À son tour Luizzi pensa que cet accident était un secours inespéré du Diable ; et, reprenant quelque assurance, il répondit d’un ton non moins railleur :

— Un portefeuille qui renferme de terribles secrets, et qui peut-être dira un jour celui de l’attentat qui va se commettre ici.

— Renfermerait-il le secret que vous avez dit à Madame ? repartit le comte du même ton amer.

— Oui vraiment, dit Luizzi ; car c’est le soulier de celui qui me l’a raconté et qui l’a laissé tout à l’heure dans ma voiture.