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ne souffrirais jamais, j’étais disposé à tout permettre, me résignant d’avance à un sort que tant d’autres n’acceptent qu’après coup. Je vous ai dit cela, ç’a été peut-être une folie d’amour, la seule folie qui me fût permise, mais non pas une lâcheté.

— Ç’a été une lâcheté, Monsieur, s’écria la comtesse exaspérée, une lâcheté ! car vous avez prévu que mon adultère pouvait un jour détruire les soupçons que peut faire naître ma stérilité, et qu’un héritier de votre nom, sinon de votre sang, serait la meilleure réponse à toutes les suppositions.

— C’est vrai, Madame, dit le comte avec l’horrible impudence d’un homme qui, poussé au crime, en aborde franchement le cynisme.

Le baron se leva alors et répondit froidement :

— Finissons-en, Monsieur ; car, si j’ai pu espérer tout à l’heure qu’à l’instant de le commettre, un double meurtre répugnerait à un homme que je ne croyais qu’égaré par une colère insensée, je dois reconnaître que celui qui a fait une telle proposition à une femme est capable de tous les forfaits lâches et bas.

À cette apostrophe du baron, le comte répondit encore par ce rire cruel qui décelait le transport furieux de son âme. Il garda un moment le silence, puis reprit tout à coup :

— Eh bien ! Monsieur, cette proposition je l’ai faite et je la renouvelle.

— Que voulez-vous dire ? reprit la comtesse.

— Allons, monsieur de Luizzi, s’écria le comte amèrement, mon beau monsieur de Luizzi, qui parlez un si doux langage aux femmes et qui les raillez si spirituellement sur les malheurs de leur mari, en voici une que je vous donne à consoler… Elle est belle, elle est jeune, elle a tous les attraits, même celui qu’on ne rencontre guère chez une femme mariée… Eh bien ! cette femme, je vous la livre, devenez son amant sur l’heure, et même devant moi, et je vous pardonne à tous les deux, à vous, parce que je vous crois très-capable de perpétuer le nom qui va s’éteindre en moi ; à Madame, parce qu’elle aura à garder le secret d’une faute qui déshonore.

Madame de Cerny tomba assise en se cachant la tête dans les mains, Luizzi repartit :

— En vérité, Monsieur, je ne croyais pas qu’il fût possible d’ajouter quelque chose à votre infamie… et cette ignoble plaisanterie…

— Une plaisanterie, monsieur le baron ? dit le comte en ricanant toujours ; point du tout, je vous le jure. C’est sérieusement que je vous parle. Eh quoi ! ce boudoir si coquet, cette femme si belle, ces parfums d’amour, tout cela ne vous transporte pas, ne vous exalte pas ?… Comment donc ! je crois que la peur vous a réduit à un plus misérable état que le mien. Montrez donc un peu de courage, un peu de présence d’esprit. Sur l’honneur je vous jure