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sait tout ce qui s’est passé entre vous et moi, c’est que, vous ou moi, nous l’avons dit.

— Mais enfin, reprit Luizzi, que prétendez-vous ? que voulez-vous ?

— Vous ne m’avez donc pas compris encore ? repartit le comte. Impuissant ! avez-vous dit. Impuissant à donner la vie, je ne le serai pas du moins à donner la mort.

— Un assassinat ! s’écria madame de Cerny en se levant avec épouvante.

— Non, Madame, repartit amèrement M. de Cerny ; une vengeance, une vengeance que la loi a prévue, et que la loi autorise puisqu’elle l’excuse ! Je trouve chez ma femme l’amant de ma femme, et je le tue.

— Monsieur ! s’écria la comtesse de Cerny, ce sont deux crimes abominables : vous tuez un homme et vous déshonorez votre femme… et il faudra me tuer aussi, car je vengerai à mon tour le meurtre que vous aurez commis.

— Tous les deux alors, dit le comte amèrement.

— Mais c’est impossible ! s’écria la comtesse éperdue, tandis que Luizzi restait anéanti et muet. C’est impossible ! on entendra nos cris… on viendra… Vous ne nous tuerez pas si bien l’un et l’autre que l’un de nous ne puisse appeler.

— Avant d’approcher d’ici, dit le comte, j’ai éloigné tout le monde. Puis il ajouta :

— J’ai prévu votre résistance, et rien ne peut vous sauver.

En parlant, ainsi, il fit un pas en arrière et s’appuya à la porte comme pour prévenir toute fuite et donner l’espace nécessaire à la direction de ses coups. Il arma ses pistolets.

— Monsieur ! s’écria la comtesse, c’est un crime horrible, un crime pour lequel il n’y a ni excuse ni pardon.

— C’est un crime que votre trahison a seule appelé.

— Quelle trahison ? Je suis innocente, je vous le jure, innocente de toute trahison. Le nom que vous m’avez donné, je l’ai respecté.

— Oui, dit le comte en ricanant, dans tout ce qui m’était devenu indifférent.

— Ah ! repartit la comtesse avec dégoût, ne me rappelez pas ce que vous avez osé me dire ; c’est là votre premier crime, et, du jour où vous avez osé parler ainsi à votre femme, je devais m’attendre à vous voir couronner tant de lâcheté par un assassinat.

Le comte haussa les épaules en laissant échapper un rire méprisant, puis il repartit d’un ton indéfinissable de raillerie :

— Allons donc ! Madame, ne faites pas de la vertu hors de propos. Je vous ai dit, et je veux bien le répéter devant Monsieur, car il doit le savoir aussi, je vous ai dit que je voulais être généreux envers vous, que je ne voulais pas avoir enchaîné votre existence à celle d’un cadavre, que je saurais supporter sans vengeance ce que le monde appelle un affront et ce que je nommais, moi, une consolation ; je vous ai dit qu’à part le scandale que je