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— Qui vous l’a dit, Monsieur ?

Il est assez difficile de peindre la stupéfaction de Luizzi et l’alarme réelle qu’il éprouva en voyant paraître M. de Cerny ainsi armé. Assurément, s’il se fût trouvé chez un homme de basse nature dont il eût découvert quelque crime abominable, il n’aurait pas craint de le voir se porter à de plus odieux excès pour éviter l’échafaud, que ce grand seigneur de haute naissance pour échapper au ridicule. Ne sachant que répondre à l’interpellation de M. de Cerny, Luizzi, à qui la vanité ne permettait pas de montrer la moindre faiblesse en face d’un homme de son rang, se tourna froidement vers la comtesse en lui disant :

— Ainsi, Madame, c’était un guet-apens… ?

Mais l’épouvante et l’étonnement qui se peignaient sur le visage de madame de Cerny lui prouvèrent mieux que toutes ses réponses qu’elle était aussi étonnée que lui de l’apparition du comte.

— Vous, vous ici ! s’écria-t-elle en s’adressant à son mari.

— Oui, moi, dit le comte, moi qui ai appris chez madame de Marignon avec quelle chaleur Monsieur avait pris la défense de madame de Carin ; moi à qui l’on a répété l’empressement qu’il avait montré à vous rassurer, moi qui ai su votre curiosité et qui l’ai partagée.

— Eh bien ! Monsieur ? dit le baron.

— Eh bien ! Monsieur, repartit M. de Cerny, cette curiosité n’est pas satisfaite.

— Et je ne puis la satisfaire.

— Ce sera donc Madame qui le fera pour vous, Monsieur.

— Moi ? reprit la comtesse.

— Vous, Madame, repartit le comte en poussant les verrous des deux portes qui conduisaient au boudoir.

— Vous avez vu mon anxiété, vous avez entendu mes questions, Monsieur, dit la comtesse.

— J’ai entendu la réponse de M. de Luizzi. Il sait, a-t-il dit, ce que je vous ai appris moi-même la première nuit de nos… de vos… enfin, dans cette première nuit de noces. Un secret tel que le mien peut à toute force se deviner ; mais une circonstance comme celle dont M. le baron de Luizzi a parlé a dû être confiée. Nous étions seuls, Madame, et ce n’est pas moi qui ai fait des récits plaisants de cet entretien.

— Mais, Monsieur, dit la comtesse, la manière dont j’ai interrogé monsieur de Luizzi a dû vous apprendre…

— Que ce n’est pas à lui que vous avez fait des confidences, je n’en doute pas, mais vous les avez faites à quelqu’un assurément ; et si vous me dites, vous, à qui vous les avez faites, et Monsieur, de qui il les a reçues, il est possible que j’apprenne par quelle filière elles ont passé.

— Sur mon âme ! Monsieur, je vous jure, s’écria la comtesse, que jamais aucun mot de moi n’a pu faire soupçonner…

— Ne mentez pas contre l’évidence, Madame ! répondit M. de Cerny dont la fureur mal contenue éclata tout à coup. Puisque Monsieur