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lui dire qu’elle est belle et faite pour être aimée.

— C’est qu’il est difficile, répondit Luizzi en souriant, d’admirer et d’embrasser beaucoup de choses du même regard. Les yeux de l’esprit, comme ceux du corps, s’arrêtent, sans choisir, sur ce qui les frappe le plus ; et, pour ceux qui n’ont pas l’honneur d’avoir pu apprécier dans l’intimité tout l’éclat de vos hautes facultés, il est assez naturel de se laisser aller à contempler ce que vous ne pouvez leur cacher, l’esprit le plus délicat, la grâce la plus exquise et la beauté la plus pure.

Madame de Cerny se tourna vers le baron sans quitter sa place, le regarda attentivement et lui dit avec un sourire franc :

— Vous êtes habile à revenir à votre thèse, mais je la crois fausse. Il me semble que l’admiration d’un homme pour une femme, si tant est qu’elle mérite cette admiration, doit embrasser tout ce qui fait qu’elle la mérite, qu’on n’oublie si aisément les hautes qualités dont vous parlez que dans le cas où on ne les lui reconnaît qu’à un degré bien bas.

— Ah ! combien vous vous trompez, Madame ! reprit Luizzi avec vivacité ; daignez m’écouter sans vous méprendre sur l’intention de mes paroles, et peut-être vous reconnaîtrez combien j’ai raison.

— Je vous écoute, reprit madame de Cerny en joignant les mains au-dessus du noir coussin qui la soutenait, et en couchant gracieusement sa tête sur ses deux mains unies.

— Il est une chose, reprit Luizzi, dont vous devez être bien persuadée, Madame, c’est le respect sincère et vrai que vous inspirez, l’estime profonde et pure qui vous est due. Ce dont vous devez être persuadée aussi, c’est qu’il est facile, sinon d’oublier ces deux graves sentiments, du moins de les laisser dominer par une adoration plus vive, plus ardente, quoique sans espoir.

— Je vous accorde cela, Monsieur, dit madame de Cerny en souriant ; je ne suis pas d’assez mauvaise foi pour le nier.

— Eh bien ? Madame, reprit Luizzi, de même que l’amour le plus pur peut dominer un moment le respect que l’on vous doit, ainsi un désir insensé peut dominer un moment cet amour si pur. L’homme qui vous regarde du côté de votre beauté, de votre grâce, de votre esprit, vous aime malgré lui ; celui qui vous verrait ici, celui qui verrait ce beau visage si coquettement posé sur ces belles mains, ce corps si beau aussi, se dessinant dans toute la grâce et toute la plénitude de sa perfection, ces cheveux égarés, loin de la correction d’une coiffure apprêtée, et se déroulant sur ces épaules divines ; celui qui sentirait ce parfum enivrant qui est l’air de cet asile, celui qui verrait cette lumière si voilée qu’elle semble un mystère, celui-là, Madame, pourrait oublier un moment, un seul moment peut-être, le respect qu’on doit à votre