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voyant, combien le Diable avait raison quand il lui parlait de cette séduction qui résulte des grâces empruntées dont une femme se pare. En effet, la beauté de madame de Cerny disparaissait en ce moment sous l’attrait magique de ce contraste hardi, et la blancheur éclatante de sa robe et le blond suave de ses cheveux firent tous les frais du premier sentiment d’admiration qui prit le cœur de Luizzi. Ce mouvement de surprise fit distraction à la gaieté qui s’était emparée du baron ; il put saluer la comtesse sans lui rire au nez, et prendre gravement le siége qu’elle lui désigna de la main, car elle paraissait trop émue pour pouvoir parler.

— Je me suis rendu à vos ordres, lui dit le baron, et j’attends de vous l’explication du motif qui m’a valu la faveur que je reçois.

— Je ne sais jusqu’à quel point on peut appeler faveur une explication qui peut devenir très-sérieuse, répondit madame de Cerny.

— Vous avez raison, Madame, et rien ne peut vous regarder qui ne soit ou ne doive être très-sérieux.

— Je voudrais vous mieux comprendre, Monsieur.

— Je ne saurais mieux m’expliquer.

— C’est pourtant à vous expliquer très-clairement que je veux vous réduire, reprit Léonie avec effort. Qu’entendez-vous en disant que rien ne peut me regarder qui ne soit très-sérieux ?

— Vous exigez une explication, j’obéis, dit Luizzi, à qui tout ce bon air qui l’entourait rendait l’aisance de sa bonne éducation. Oui, Madame, tout ce qui a rapport à vous doit être sérieux. Une liaison d’esprit sera sérieuse avec une femme dont la supériorité intellectuelle a étudié et résolu les plus hautes questions sociales et politiques. L’amitié sera sérieuse pour une femme qui porte dans ses préférences tout le dévouement, toute la fermeté qui rendent cette affection si sainte ; et enfin, si l’on osait aimer d’amour madame de Cerny, cette passion serait sérieuse, car elle reposerait à la fois sur la plus haute estime pour le plus noble caractère et sur l’adoration la plus vive pour la plus parfaite beauté.

La franchise directe de cet éloge, le ton sincère et respectueux dont il fut fait, embarrassèrent d’abord madame de Cerny, mais ne parurent pas l’irriter. Cependant, après un moment de silence, elle répondit en souriant :

— En vérité, j’admire combien vous nous méprisez, Messieurs !

— Madame, s’écria Luizzi, que parlez-vous de mépris ? Croyez que mon respect pour vous est aussi vrai…

— Oh ! ne vous excusez pas, vous ne m’avez pas comprise, dit la comtesse en interrompant le baron. J’admire combien vous nous prisez peu, si le mot mépriser vous fait peur, car vous ne pouvez rester un moment à côté d’une femme sans torturer la conversation de manière à