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laissés au pied d’un lit de femme et à montrer l’élégance prétentieuse de celui qui les porte.

Luizzi était encore dans l’admiration de ce joli soulier, riant toujours et pensant que peut-être le Diable comptait l’oublier chez la jolie dévote à laquelle il allait rendre visite, lorsqu’il entendit le domestique revenir. Alors, ne sachant que faire de la chaussure de son ami Satan, il la mit dans la poche de côté de son habit et entra chez madame de Cerny. On lui fit traverser trois immenses pièces de divers styles ; une salle à manger romaine, un salon gothique et une bibliothèque renaissance ; il passa encore la chambre à coucher qui était pur Louis XIV, et entra enfin à l’extrémité la plus reculée de l’hôtel, dans un boudoir chinois, à huit pans, et du luxe le plus excentrique. Tous les panneaux étaient en laque noire ; les tentures et les meubles d’un satin noir brodé de soie de couleurs très-tranchées. Les divans, très-bas, étaient d’étoffe pareille ; le plafond en était couvert, de façon qu’au premier aspect ce boudoir pouvait ressembler à une chapelle ardente. Mais, lorsqu’à la lueur de la pâle bougie rose qui l’éclairait, enfermée dans une lampe de cristal de Bohême qui était suspendue au plafond par des chaînettes de bronze, on découvrait tous ces dessins bizarres, tous ces oiseaux fantastiques aux plumages si ardents, toutes ces figures grotesques faisant luire leur face jaune sur l’émail noir et brillant de la laque ; lorsqu’on voyait toutes ces porcelaines transparentes et capricieuses, ces broderies aux larges soies lustrées, ces petits meubles surchargés de mille inutilités d’or tordu et d’argent ciselé, des fleurs admirables dans des vases difformes, des parfums pénétrants s’échappant de cassolettes inouïes, on comprenait qu’on était dans un sanctuaire de la mode dans tout ce que la mode a de plus bizarre et de plus impertinent. Puis, un instant après, quand on avait subi un moment l’influence de cet endroit prestigieux, on devinait que l’éclat sombre de ce réduit et la laideur recherchée de tous les ornements n’étaient peut-être pas aussi déraisonnables qu’ils le paraissaient d’abord. En effet, la grande et blonde madame de Cerny était à moitié couchée sur le satin noir de ces divans ; elle était vêtue d’une robe de mousseline blanche qui la montrait sur le fond sombre de l’étoffe comme une ombre blanche de fée dans la nuit ; sa tête était appuyée sur un coussin dont l’édredon, se gonflant sous son fourreau noir, se relevait autour de son visage éblouissant et l’encadrait admirablement, tandis que les larges et longues boucles de ses beaux cheveux blonds s’épandaient en riches torsades dorées sur ce cadre sombre et sévère. Madame de Cerny était belle ; mais Luizzi reconnut, en la