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qu’il vînt de lui, et au diable alors sa perfection ! Mais tu m’interromps sans cesse. Je dis donc cela à ma dévote, et elle me répondit :

« — J’ai bien fouillé, dans ma conscience, et je n’y découvre d’autres péchés que ceux que je viens de vous dire.

— C’est qu’il est des péchés qu’on commet quelquefois par ignorance.

— Dites-les moi, mon père.

— D’énormes péchés.

— Oh ! je les fuirai ; parlez, je vous écoute.

— Répondez-moi alors sincèrement : depuis combien de temps êtes-vous accouchée ?

— Depuis dix-huit mois.

— Depuis dix-huit mois vous avez vécu dans la chasteté et l’abstinence ?

— Je suis mariée, mon père, et je ne crois pas manquer à mes devoirs religieux en obéissant aux désirs de mon mari.

— Et que résulte-t-il de ces désirs ?

— Mon père, je ne sais que répondre et…

— Vous n’avez pas eu d’enfant depuis dix-huit mois ?

— Non, mon père ; ma dernière couche a été très-pénible, et mon médecin m’a fait craindre de graves accidents si j’avais un autre enfant.

— L’infâme ! m’écriai-je.

— Ma santé est si faible…

— Ah ! misérable créature ! repris-je en tonnant à voix basse, ta santé est faible pour procréer l’enfant qui veut naître, et elle est forte pour obéir aux désirs de ton mari, comme tu dis dans ton affreux langage ! Mais votre union n’est plus un lien sacré, c’est un libertinage immonde qui échappe à la volonté du Seigneur qui a dit : Croissez et multipliez.

— Mais je pensais… reprit-elle en tremblant.

— Tu pensais, malheureuse ! m’écriai-je en fureur… tu pensais… et voilà ce qui t’a perdue ; c’est la présomption, c’est la vanité… Tu pensais !… »

Je poussai quelques exclamations et marmottai plusieurs bribes de mots latins, car avec quelques UM, quelques US et quelques O bien lancés ; au bout d’un petit murmure des lèvres, on fait de très-bon latin de sacristie. Je parus m’être calmé et j’expliquai alors à ma pénitente comme quoi nos pères les plus instruits en théologie ont considéré comme un péché capital tout plaisir qui n’a d’autre but que le plaisir, et je l’épouvantai sur cette longue suite d’infanticides dont elle s’était rendue complice.

— Mais c’est une idiote ! dit Luizzi, et il a fallu qu’elle tombât sur un imbécile !

— Mon maître, reprit le Diable, je connais telle femme qui a changé neuf fois de confesseur pour obtenir l’absolution de ce crime, et même pour trouver un prêtre qui ne l’interrogeât pas sur ce chapitre, sans pouvoir y parvenir. Alors elle y a renoncé.

— À quoi ? dit Luizzi, au péché ?

— Eh, non ! à l’absolution. Mais il n’en a pas été de même pour celle-ci.

— Et qu’en est-il résulté pour elle ?

— Il en est résulté qu’elle a signifié à son mari qu’il eût à faire lit à part, à moins qu’il ne voulût avoir un troisième enfant. Le mari a