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manger plus que le nécessaire est un crime, mais manger le nécessaire avec plaisir est un péché. Or, ayant fait nommer mon curé à un vicariat général, d’abord pour le faire croire à son mérite, petit croc-en-jambe donné en passant à sa vertu, je le fis remplacer par un jeune prêtre de l’espèce des fakirs, chaud encore du séminaire et de la discussion théologique, et je lui adressai ma petite personne.

— Et il en devint amoureux ?

— Bon Dieu ! mon cher, que vous êtes bête quelquefois ! dit le Diable d’un ton désolé ; vous me désespérez vraiment. Je vous ai dit que je m’étais avisé d’un certain cas de conscience original. Cela n’a pas grand rapport, il me semble, avec l’histoire très-vulgaire et très-commune d’un confesseur amoureux.

— Voyons, finissons-nous ? dit le baron mortifié de l’exclamation du Diable ; quel est ce cas de conscience ?

— C’est celui dont je t’ai parlé, dit le Diable, celui qui consiste à considérer tout plaisir comme un péché, c’est ce scrupule dans toute son extravagance. Or, un jour que ma charmante dévote se confessait…

— Elle en était donc à la dévotion ? dit Luizzi.

— Elle en était au cilice.

— Comment, au cilice ?

— Oui, au cilice.

— Où diable y en a-t-il de nos jours ? s’écria Luizzi.

— Où les gens de ta sorte ne peuvent les voir, attendu que les femmes qui en mettent n’ont pas coutume d’y laisser regarder.

— Ça doit être pourtant bien amusant, une dévote !

— Ah ! ah ! fit le Diable en se passant amoureusement la langue sur les lèvres… Voilà qui est d’une saveur adorable, d’un piquant superlatif, d’un sucré délicieux ! Une dévote amoureuse, c’est un ragoût de miel et de poivre, de confitures et de piment qui écorche et caresse le palais ; mais il faut des estomacs plus forts que le tien pour un tel régal. Il en faut pour cet amour qui soient de la trempe de celui de mon archevêque pour la gloutonnerie, et l’un et l’autre se trouvent volontiers sous la même robe. Mais je reviens à ma dévote, le jour où elle était au confessionnal. Voici mon dialogue avec elle…

— C’était donc toi ?

— Tout ce qui est mal c’est moi. L’abbé Molinet parlait, mais c’est moi qui le soufflais. Je dis donc doucement à ma poulette, et d’une voix onctueuse :

« — Depuis que je dirige votre conscience, ma fille, j’ai reconnu que pour la plupart des choses de ce monde vous êtes dans la véritable voie du salut. Mais il y a un doute qui me tourmente, car, lorsqu’on rencontre une vertu si pure que la vôtre, on la voudrait parfaite… s’il peut y avoir autre chose que Dieu qui soit parfait. »

— Tu as dit cela, toi, Satan ?

— Et pourquoi non ? reprit le Diable. Dieu est parfait puisqu’il m’a fait, il n’est même parfait qu’à cette condition ; car, si le mal ne venait pas de moi, il faudrait