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bien faite, de peau blanche et fine, tout à fait de bonne race, une femme d’avoué enfin, ni plus ni moins, par conséquent une femme très-propre à une passion compromettante ou une galante aventure. Elle avait, en outre, une certaine pointe d’exaltation dans le cœur et une forte dose de caprice volontaire dans l’esprit, qui devaient en faire, si elle était tombée en de bonnes mains, une de ces médiocres existences qui vivotent dans une foule de petits péchés secrets et de scandales à huis clos, existences, du reste, qui constituent le bonheur des femmes et presque toujours celui des maris.

— Est-ce l’histoire de madame de Cerny que tu me racontes ?

— Elle viendra en son lieu, repartit le Diable… Puis il continua : Je ne supposai pas un moment que cette petite créature valût la peine que je m’en occupasse, et j’avais laissé aux hommes et aux femmes le soin de la perdre ; mais sa mère ne s’avisa-t-elle pas de la confier aux soins d’un vieux curé, qui tourna vers la religion cette exaltation dont je comptais faire mon profit, vers l’accomplissement de ses devoirs cette obstination qui devait la faire persévérer dans le mal dès qu’elle y aurait mis le pied ? Ma petite demoiselle devint pieuse ; elle épousa avec amour un mari plein d’honneur, et la voilà bientôt calme et honnête femme, puis mère attentive et vigilante de deux jolis enfants. Ceci me parut aller trop loin, et je songeai à rectifier toutes ces bonnes qualités dans mon sens. Parbleu ! Madame, me dis-je, vous êtes pieuse, je vous ferai dévote ; vous êtes persévérante, je vous ferai entêtée ; vous êtes vigilante, je vous rendrai soupçonneuse ; votre ménage est un paradis, j’en ferai un enfer.

— Mais tu es sans pitié !

— Allons donc ! fit le Diable. Je suis meilleur chrétien que vous tous, je traite mon prochain comme moi-même.

— Et par quel charmant moyen es-tu arrivé à un si beau résultat ?

— Je lui ai donné tous ces jolis défauts par le même moyen qui lui avait valu toutes ces belles qualités.

— Comment cela ? dit le baron.

— Cette personne était devenue une charmante femme par les soins d’un saint directeur ; je lui en donnai un mauvais.

— Pour qu’il sapât les bons principes de cette femme et renversât l’œuvre de l’honnête curé ?

— Que nenni ! fit le Diable en se dorlotant sur les coussins soyeux du coupé. Je ne sapai point l’édifice de cette vertu, mais je l’élevai outre mesure : surcharger le sommet ou miner la base sont deux moyens excellents pour renverser un monument. Je m’avisai d’un cas de conscience des plus originaux qui aient été inventés.

— Et quel est ce cas de conscience ?

— Il faut d’abord te dire qu’il y a une certaine morale religieuse qui consiste à considérer comme péché tout ce qui est plaisir. Les fakirs et les trappistes sont les sectaires de cette morale. Non-seulement, pour ceux-là,