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vices ou d’autres malheurs à cacher que ceux de l’amour ? Ne penses-tu pas que souvent le ridicule peut leur faire plus de peur que la honte ?

— Quoi ! s’écria Luizzi en se penchant vers le Diable, qui, étendu sur un fauteuil, déboutonnait son gilet en soufflant comme un homme gorgé, la comtesse serait-elle dans l’impuissance d’avoir un amant ?

— Je te dis que c’est un admirable corps, une de ces femmes qui ont gardé le type primitif de leur race originelle, une de ces magnifiques natures normandes venues des pays slaves à la conquête de la France ; natures princières, fécondes, riches, vigoureusement constituées ; une femme, toute une femme enfin.

— C’est donc que son ambition occupe tout ce qu’elle a de facultés sensibles ?

— Je ne puis te dire qu’elle les occupe, mais elle les distrait.

— Qu’entends-tu par là ?

— Qu’elle est devenue ambitieuse, pour ne pas être coquine.

— Bon ! c’est pourtant assez impuni et assez facile pour qu’elle y ait renoncé si jeune.

— Cela pour elle n’est point facile, parce que cela ne resterait pas impuni.

— Le comte est donc bien jaloux ?

— De sa femme ? non. De ce que vous appelez son honneur ? oui.

— Sans doute il la surveille avec une rigueur de tuteur espagnol ?

— Tu entreras chez elle à dix heures, tu la trouveras seule, tu en sortiras quand tu le voudras, sans qu’il en prenne souci, à moins d’événements extraordinaires.

— Ainsi cette visite n’aura pas le résultat que j’en espérais ?

— Peut-être obtiendras-tu en une nuit ce que beaucoup d’autres se sont vu refuser après des années d’amour sincère et de passion dévouée.

— Tu crois ?

— Je suis même assuré que si tu ne réussis pas, ce sera par ta faute.

— Mais ne peux-tu me donner quelques conseils ?

— Moi ? dit Satan en soupirant, hélas ! non. Je n’ai jamais aimé qu’une femme mortelle depuis l’éternité, et je n’ai pu en triompher.

— Et c’est ?…

— La Vierge Marie ! fit le Diable avec son plus cruel sourire. Aussi en a-t-on fait la mère de Dieu.

— Et toutes les autres ?

— Toutes les autres ? J’ai laissé faire aux hommes, excepté, comme je te l’ai dit, pour Ève. Comme ils n’étaient que deux sur la terre, il a bien fallu que je m’en mêlasse pour qu’elle trompât son mari. S’il y avait eu seulement un horrible petit bègue, borgne, bossu et idiot à côté d’elle, je me serais épargné ce soin. Depuis ce temps, je ne m’en suis plus occupé ; mes conseils ne seraient donc pas d’un maître très-inhabile.

— Mais, dis-moi, est-ce une de ces femmes dont on puisse égarer la prudence par une surprise audacieuse ?

— Je ne crois point à de telles surprises, à moins que les femmes à qui elles s’adressent ignorent complètement ce qu’on veut d’elles ; et il n’y en a guère aujourd’hui.

— Surtout, reprit Luizzi, quand elles sont mariées. Mais serait-elle de celles dont on