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de son ménage contre quelques litres de mauvais vin ? T’imagines-tu que je fais une grande différence entre la grande dame qui introduit par l’adultère les enfants de son amant dans la famille de son mari, et la fille publique qui met ceux du public aux Enfants-Trouvés ? Gardez ces misérables distinctions, elles vous appartiennent.

— Penses-tu que notre morale ne les condamne pas également ?

— Est-ce que vous vivez en vertu de votre morale, pauvres méchants que vous êtes ? Eh ! vous ne vivez pas même en vertu de vos passions, car la plus naturelle chez tout animal, c’est l’amour, et vous mentez incessamment à celui quel votre organisation vous inspire.

— Je ne comprends pas.

— Va donc dans la rue, mon maître, rencontre une belle fille admirable de beauté et de jeunesse : il est possible que tu la remarques, cachée sous ses haillons. Mais qu’il passe à côté d’elle une de ces mièvres créatures extraites d’un journal de modes, encapuchonnée de soie, coiffée de cheveux tellement lisses qu’une calotte de satin les remplacerait avec avantage, sanglée dans un corset qui lui fait une taille comme un goulot de bouteille, empaquetée de chiffons de mousseline empesée qui lui forment des hanches impossibles et immorales, tendant et balançant des formes qu’elle n’a pas et qu’elle exagère impudemment au delà des riches proportions de la Vénus Callipyge, et tout aussitôt tu laisseras la belle fille aux beautés naturelles et vraies pour suivre ce paquet de linge blanc et de soie éclatante.

— Ceci, dit Luizzi, est une affaire d’illusion ; on se trompe à l’apparence.

— Tu mens ! dit Satan ; vous êtes sûr de ce qui en est. Il y a telle femme à qui vous savez que la nuit tout manque de la femme, excepté son sexe, et qui vous ravit le jour parce qu’elle supplée habilement à toutes les absences de beauté. Vous l’adorez pour le corset qui lui fait un sein admirable, pour le polisson (c’est un mot de vous) qui lui prête une croupe andalouse ; vous vous passionnez pour sa taille roulée sous un lacet comme un saucisson ficelé. Vous n’aimez plus les femmes, mon maître ; vous aimez le caoutchouc, l’empois et le coton.

— Eh bien ! en fait de femmes, dit Luizzi, que penses-tu de la comtesse de Cerny ?

— Une grande femme blonde, forte, bien femme de partout, excepté du cœur, car elle est, dit-on, décidée, hardie, ambitieuse ; c’est un beau morceau de sculpture en chair. Si jamais elle prend un amant, elle en fera le valet, non de ses désirs d’amour, mais de ses désirs de pouvoir. Voilà du moins comme le monde la juge.

— Si jamais elle prend un amant, dis-tu ? elle n’en a donc jamais eu ?

— Jamais.

— D’où vient alors l’effroi qu’elle a éprouvé lorsque je l’ai menacée de lui dire ses secrets ?

— Eh ! mon maître, crois-tu que les femmes n’aient pas d’autres