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comtesse, sans voir le moyen d’y parvenir. Que dirait-il à cette femme ? Après la prétention de finesse qu’il avait montrée, n’aurait-il pas l’air d’un sot en n’ayant à lui raconter que la maigre circonstance du récit de Louise ? Cette crainte du ridicule se mêlant à ses pensées, le baron réfléchit au hasard qui avait fait que, jusqu’à ce moment, les confidences du Diable ne lui avaient guère servi qu’à lui montrer sous un jour fatal ses actions passées, et non à le guider dans ses actions futures ; il se décida donc à apprendre la vie de madame de Cerny, pour en user selon les circonstances de sa visite. Alors, se trouvant seul pour la première fois depuis longtemps, il appela le Diable, et le Diable parut soudainement sans que Luizzi crût d’abord que ce fût lui, tant il avait adopté une singulière tenue. XIX

UN ABBÉ.

Il était en bas de soie d’un noir mat, qui dessinaient une jambe mince de la cheville et vigoureusement rebondie à l’endroit du mollet, une de ces jolies jambes à culotte courte qu’estimaient tant nos grand’mères et qui sont d’une affreuse difformité en belle nature. Il avait une culotte de casimir noir très-serrée au genou, genou très-mince, surmonté de cuisses fortes et courtes ; un peu de ventre et beaucoup de hanches ; un gilet de soie noire, une petite cravate en corde sur laquelle se posait un double menton potelé ; un visage rose, frais et souriant ; une petite bouche avec des dents charmantes, des yeux papelards, les cheveux légèrement frisés, des mains blanches et parfumées ; du linge d’une finesse extrême et d’un éclat éblouissant, mais sans empois, sans cette horrible préparation qui donne à la toile l’air d’un morceau de carton ; du linge flottant et gracieusement chiffonné ; et enfin une petite redingote noire à un seul rang de boutons. C’était, à tout prendre, un adorable petit abbé, si ce n’eût été le Diable : chose fort difficile à deviner, car il avait caché son pied fourchu dans le plus joli petit soulier du monde, luisant, effilé, charmant.

Malgré son désir de l’interroger, Luizzi ne put s’empêcher de s’étonner de la forme que Satan avait prise pour lui apparaître.

— D’où viens-tu, dis-moi, en pareil équipage ?

Le Diable lui répondit avec un fausset très-flûté :

— Je viens de griser un archevêque allemand et un chanoine.