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— J’ai bien peur que nous n’ayons pas grand amusement au spectacle, car vous n’avez pas voulu braver, pour nous accompagner, l’ennui d’une seconde représentation.

— Vous avez tort, dit Luizzi nonchalamment, cette pièce est au contraire d’un intérêt très-vif, et, si je n’étais bien faible encore…

— Et quel est le sujet de cet ouvrage ?

— Le sujet ? dit Luizzi en regardant Juliette… Ma foi, il est assez difficile à expliquer. Je laisse à l’auteur le soin de s’en charger…

— Il s’agit d’une reine de France, dit Juliette, qui avait des amants…

— Qu’elle faisait jeter dans la Seine après des nuits d’ivresse et d’orgie, répondit le baron.

Le visage de Juliette s’éclaira d’un regard fauve et d’un sourire luxurieux, et le baron fut frappé de l’idée soudaine qu’une nature comme celle de Juliette pouvait expliquer la férocité et la lubricité des crimes attribués à Jeanne de Bourgogne. Par un mouvement emporté du désir incessant que cette femme réveillait en lui, il se rapprocha d’elle et lui dit :

— Il y a dans ce drame une peinture merveilleuse de ces plaisirs frénétiques, de ces baisers furieux, de ces ivresses délirantes où jette l’amour, et ce tableau vous surprendra, j’en suis sûr.

Juliette leva sur Luizzi des yeux humides où son regard tremblait comme les rayons d’une étoile dans la brume. Armand en fut pour ainsi dire inondé. Dans un mouvement irréfléchi, il osa prendre Juliette dans ses bras, et, plus hardi qu’il ne l’avait été jusque-là, il l’attira sur ses genoux, chercha ses lèvres de ses lèvres, et l’attacha à lui. Juliette sembla se tordre sous ce baiser ; mais, s’arrachant encore une fois à Luizzi, elle s’enfuit en s’écriant :

— Oh ! non ! non ! non !

Luizzi allait peut-être se décider à suivre Juliette au spectacle, persuadé que cette jeune fille cachait sous sa réserve un amour qui la dévorait et qui la lui livrerait le soir même, s’il savait profiter de l’exaltation que pouvait faire naître en elle un drame pareil à la Tour de Nesle ; mais, au moment où il flottait entre le désir de posséder Juliette et l’obligation de se rendre à l’invitation de la comtesse, il reçut un nouveau billet ainsi conçu :

« M. le baron de Luizzi ne m’a pas fait dire s’il se rendrait à mon invitation. J’attends sa réponse, et j’attends surtout M. de Luizzi. « LÉONIE. »

Encore une fois le baron se dit qu’il serait mal d’abuser de la faiblesse de l’amie de sa sœur ; et, pour ne pas céder à une nouvelle tentation, il répondit sur-le-champ qu’il aurait l’honneur de se présenter à dix heures chez madame de Cerny. Pendant ce