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souciait nullement de raconter d’aucune façon comment il avait pu entrer dans la maison de fous habitée par madame de Carin. Il en conclut qu’il serait plus facile et plus raisonnable d’écrire un billet d’excuse, et il monta chez lui en se réservant d’y réfléchir.

Il trouva tout le monde assemblé chez Caroline. On projetait une partie de mélodrame à la Porte-Saint-Martin, et tout le monde était d’un entrain complet. Caroline surtout semblait ravie, et Juliette était d’une gaieté charmante ainsi que Henri. Luizzi, du reste, avait remarqué que les manières du lieutenant s’étaient polies au contact des gens comme il faut, et il s’associa facilement à la joie commune. Le jeune du Bergh et Gustave étaient de la partie. Luizzi refusa d’y aller sous prétexte de santé et parce que d’ailleurs, dit-il, il avait vu cette pièce. Il voulut être libre, sans parti bien arrêté cependant de se rendre chez madame de Cerny. Seulement, pendant le dîner, il parla de sa visite chez madame de Marignon ; il nomma la comtesse avec affectation, pour voir si Edgard du Bergh pouvait lui apprendre quelque chose sur son compte. Il fut satisfait, sinon dans sa curiosité, du moins dans le but qu’il s’était proposé ; car Edgard parla de madame de Cerny avec un enthousiasme ardent pour sa beauté et le respect le plus profond pour sa vertu. Cette fois encore Luizzi, en écoutant du Bergh, laissa échapper l’occasion de remarquer le trouble que le nom de Cerny produisit sur Juliette ; mais il était tout à la comtesse, et il répondit à Edgard :

— Je sais combien elle est belle, dit le baron, je ne doute pas qu’elle ne soit irréprochable ; mais ne la croyez-vous point très-jalouse ?

— Elle ? s’écria du Bergh, pas le moins du monde, je vous jure. Sans être mal avec la comtesse, nul ne mène une vie plus indépendante que son mari. Je ne la crois pas jalouse par caractère, et le comte, d’ailleurs, ne lui en donne guère le sujet. Après avoir été l’un des hommes les plus à la mode de Paris, il a changé tout à fait de manière de vivre, il a tourné à l’ambition, et comme sa femme a, je le crois, plus de cette passion dans le cœur que d’aucune autre, ils s’entendent à merveille.

Ces renseignements ne concordaient pas avec l’effroi de la comtesse à propos des paroles de Luizzi sur la prétendue intrigue de M. de Cerny et de madame de Carin ; il demeura donc dans sa perplexité et laissa sa compagnie se préparer au plaisir des horreurs de la Tour de Nesle, qui était alors dans sa nouveauté. Chacun était allé s’apprêter ; Juliette seule était restée dans le salon avec le baron, qui réfléchissait à part lui. Alors la jeune fille, l’arrachant à sa rêverie, lui dit fort simplement :