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« — Lord Ludney m’a chargé de ses excuses, Mademoiselle, dit alors l’inconnu. À votre qualité de Française, il vous a prise pour une femme qui a retenu Arthur à Paris plus qu’il ne lui était permis d’y rester ; mais je l’ai désabusé, car je sais que cette personne ne porte pas le nom que vous vous êtes donné.

— Ne s’appelle-t-elle pas Thérèse ? s’écria vivement Eugénie.

— Oui, Thérèse ; c’est du moins ce nom que m’a dit Arthur.

— Il est donc à Londres ?

— Oui, depuis huit jours.

— Où demeure-t-il ?

— Dans Covent-Garden, no …

— Oh ! j’y vais, j’y vais, dit-elle avec désespoir.

— Voulez-vous me permettre de vous y conduire ? »

Eugénie, la tête égarée, accepta sans faire attention à la conséquence d’une pareille démarche. Peut-être que si en sortant elle eût rencontré la jeune Anglaise qui l’avait accompagnée, sa présence lui aurait rappelé qu’elle avait un guide plus convenable qu’un homme qu’elle ne connaissait pas ; mais celle-ci, fatiguée de l’attendre, s’était retirée, et Eugénie monta dans la voiture qui attendait le grand seigneur. Durant toute la route, la pauvre fille, suffoquée de larmes et de sanglots, ne put remarquer la joie de satyre et la curiosité inquiète avec lesquelles son compagnon la regardait. Ils arrivèrent enfin chez Arthur. La porte s’ouvrit rapidement sous les coups pressés du marteau qui annonçait une visite de grande importance. L’inconnu entra, tenant Eugénie par la main ; il passa rapidement devant les domestiques, monta au premier étage, et, ouvrant brusquement la porte d’un salon, dit à Arthur qui était étendu sur un divan le dos tourné à la porte et lisant un journal :

« — Arthur, je vous amène une personne que j’ai rencontrée vous demandant chez votre père. »

Le jeune homme se souleva sans se retourner et répondit d’un ton nonchalant :

« — C’est quelqu’un de mes créanciers que vous avez pris sous votre protection, n’est-ce pas, milord ? Vous en êtes bien capable pour me jouer un méchant tour.

— C’est moi, Arthur, » dit Eugénie en s’avançant.

À cette voix, Arthur se retourna tout à fait. Il regarda Eugénie d’un air insouciant, et reprit, en arrangeant ses cheveux devant une glace :

« — En ce cas, la rencontre n’est pas tout à fait aussi désagréable. Eh bien ! miss Eugénie, que me voulez-vous ? »

La pauvre fille regardait Arthur avec des yeux si étonnés, qu’on y lisait qu’elle n’était pas bien sûre de ce qu’elle voyait et de ce qu’elle entendait.

« — Soyez assez bonne pour vous hâter, lui dit Arthur, on