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folie, il était assez naturel que madame de Carin n’y eût point fait l’aveu d’une faiblesse qui eût pu donner des armes contre elle. En conséquence de ces bonnes raisons, l’indignation qui avait poussé Luizzi lorsqu’il avait entendu parler de M. de Carin et de Félix se calma devant le doute qui le prit, et la résolution où il avait été un moment de se servir contre eux, dans sa lutte électorale, de ce qu’il savait sur leur compte, lui parut tout au moins imprudente. Il était dans ces dispositions au moment où il rentrait à son hôtel ; il se repentait de l’entraînement qui l’avait conduit à se prévaloir un moment de connaissances dont il ne pouvait révéler l’origine, lorsqu’une autre voiture que la sienne s’arrêta à sa porte. Le valet de pied ouvrit la portière, et Luizzi put remarquer que le brillant équipage était occupé par une femme. Du fond de la porte cochère où il était descendu il put entendre une voix qui dit avec vivacité :

— Tout de suite pour M. le baron de Luizzi… puis à l’hôtel.

Une main élégante, d’une grande richesse de forme et d’une blancheur éblouissante, remit un billet au domestique qui ferma la portière. Celui-ci entra chez le concierge et lui jeta le billet en lui répétant l’ordre de sa maîtresse.

— Tout de suite pour M. le baron de Luizzi.

Puis il remonta à son poste en criant au cocher :

— À l’hôtel !

Et l’équipage disparut au grand train de ses deux superbes chevaux. Le baron avait cru reconnaître la voix de la femme qui avait parlé, et il ne s’était pas trompé. Il lut le billet, qui était ainsi conçu :

« Monsieur,

« Les paroles que vous m’avez dites rendent une explication indispensable entre nous. Je crois m’adresser à un homme d’honneur, je n’hésite donc pas à vous dire que je vous attends ce soir à dix heures. Nous serons seuls.

« LÉONIE DE CERNY. »

Ce billet charma d’abord Luizzi, et il se fit un assez doux devoir de répondre à une telle invitation. Mais, en y réfléchissant bien, il pensa qu’il serait fort embarrassé de résoudre les doutes de madame de Cerny ; il reconnut que le peu qu’il savait des relations du comte et de Louise ne suffirait pas à une femme sans doute très-jalouse. Car il fallait un sentiment bien puissant pour la pousser à une démarche aussi extraordinaire que celle qu’elle venait de faire ; il se dit enfin que dans tous les cas il lui faudrait expliquer la source de tous ces renseignements, et Luizzi ne se