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Cette réponse de Luizzi lui avait été dictée par un singulier sentiment de dépit contre tous ces éloges si libéralement accordés à des gens qu’il en savait si complètement indignes. D’un autre côté, si le nom de madame de Cerny lui avait rappelé le récit de madame de Carin, le nom d’Assimbret lui avait remis en mémoire le vicomte libertin, habitué de la maison de la Béru, qui avait si gaiement volé à Libert les nuits de son Olivia et si rudement chassé ce rustre de Bricoin. Un vague désir de troubler cette femme en lui disant qu’il était dans la vie de chacun des choses avec lesquelles on peut le dominer poussa le baron, et, lorsque la comtesse lui répondit en riant :

— Je ne crois pas, monsieur le baron…

Celui-ci continua :

— Cependant, Madame, je pourrais vous expliquer comment une femme telle que vous, oubliant avec indulgence les égards de position qu’elle doit au nom du comte de Cerny, se trouve chez madame de Marignon par complaisance sans doute pour son nom de mademoiselle d’Assimbret.

— Quoi ! Monsieur, dit rapidement la comtesse d’un ton alarmé et en jetant un regard significatif sur madame de Marignon, vous savez… ?

— Beaucoup de choses, dit Luizzi, encouragé par l’effet qu’il produisait ; et peut-être aussi, continua-t-il, pourrais-je vous rassurer sur le résultat des attentions de M. de Cerny pour l’infortunée madame de Carin.

Ce mot qui, pour Luizzi, ne faisait allusion qu’à l’innocence de Louise dont il se croyait assuré, sembla confondre madame de Cerny. Une rougeur subite se répandit sur son visage, elle regarda Luizzi avec un singulier effroi et balbutia d’une voix altérée :

— C’est impossible… Monsieur… vous ne savez pas…

— Je sais tout, repartit Luizzi, charmé de pousser jusqu’au bout cette mystification dont le succès était si inattendu pour lui.

Et, tandis que madame de Cerny le suivait d’un regard épouvanté, il la salua et sortit en se disant : « Il n’y a donc aucune femme sur la vie secrète de laquelle on ne puisse frapper, même au hasard, sans y éveiller le souvenir d’une honte ou d’un remords ? » Cette réflexion attrista Luizzi ; il fut au moment de rentrer dans tous ses doutes sur le compte de Henri et de Juliette. Cependant il réfléchit que, pour ce qui concernait madame de Carin, il n’avait d’autres renseignements que ceux qu’il avait puisés dans le manuscrit de cette infortunée. Il se souvint que le Diable l’avait laissé dans le doute sur la véracité du récit de Louise et que son histoire avait tout le caractère d’une idée fixe ; d’un autre côté, il se dit qu’en supposant même que cette histoire ne fût pas le résultat d’une