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murmura-t-il en lui-même, comme s’il eût voulu achever la pensée de madame de Cerny.

— Moi, dit la jeune femme en saluant gracieusement Luizzi, moi, monsieur le baron, qui étais curieuse de savoir si vous me reconnaîtriez.

— Ah ! vous vous connaissez, dit madame de Marignon, voulant rompre le cours des reparties qui commençait à s’aigrir entre ces deux dames.

— Nous avons passé quelques jours ensemble chez M. de Rigot, mon oncle, dit madame de Lémée. J’espère, monsieur de Luizzi, que vous ne m’en voulez pas du méchant procès qu’il vous a fait ? Il l’a perdu, et j’en suis ravie. C’est un peu la faute d’un certain M. Bador, à qui il en avait confié la direction ; mais, quoique sa maladresse m’ait fait perdre d’assez belles espérances d’héritage, j’en remercie ce cher monsieur, puisqu’il a fait qu’il ne peut y avoir aucune rancune entre nous.

Luizzi écoutait, admirant l’imperturbable aplomb de mademoiselle Ernestine Turniquel, lorsque celle qu’on avait appelé la comtesse de Cerny dit à Luizzi :

— Ah ! vous avez connu monsieur… de Rigot ?

— J’ai eu cet honneur, répondit assez froidement le baron, qui désirait se mettre du parti de madame de Lémée, afin qu’elle le ménageât de son côté, tandis qu’il cherchait à se rappeler où il avait entendu prononcer ce nom de Cerny.

— Je vous en félicite bien sincèrement, Monsieur, reprit la comtesse d’un ton presque impertinent et en regardant Luizzi attentivement.

Madame de Marignon, voulant encore rompre la conversation sur le compte de Rigot, dit à Luizzi :

— Et pourrait-on savoir dans quel département vous comptez vous faire élire ?

— Dans l’Aude, dit Luizzi, à N…

— Mais vous avez là un terrible concurrent, dit le vieillard qui avait parlé le premier.

— Qui donc, mon cher d’Andeli ? demanda madame de Marignon.

Ce nom avait déjà été pour Luizzi un sujet d’étonnement, et il faisait de fâcheuses réflexions, en voyant chez madame de Marignon et sur ce pied d’intimité le père de l’infortunée Laura, lorsque celui-ci reprit :

— Oui, monsieur le baron, vous avez un terrible concurrent, un homme qui peut compter sur les efforts de tous nos amis politiques.

— Et c’est ?…

M. de Carin, dit le marquis.

M. de Carin ?… répéta Luizzi.

— Le connaissez-vous donc aussi ? reprit la comtesse avec un intérêt très-marqué.

— Oui, beaucoup… beaucoup… répondit lentement Luizzi, devenu pensif à tous ces noms évoqués un à un comme pour le frapper de mille affreux souvenirs…

— Ah ! reprit madame de Cerny, voilà ce que j’appelle un