Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/195

Cette page n’a pas encore été corrigée

ils votent, dit une dame qui passait pour faire des mots charmants ; c’est leur grande affaire.

— Et surtout celle des ministres, ajouta un monsieur qui était renommé pour la hardiesse de ses opinions.

— En vérité, ma chère Lydie, reprit une jeune femme dont Luizzi ne pouvait apercevoir les traits, car elle était adossée à une fenêtre et presque cachée sous son chapeau, mais dont la voix le frappa singulièrement, en vérité, dit-elle, je ne suis pas de votre avis. Vous feriez bien mieux de ne pas nous enlever les derniers hommes de salon qui nous restent, et de ne pas conseiller à monsieur le baron d’aller se perdre dans cette cohue d’honorables fort honorables, je veux le croire, mais qui suent la politique et l’ennui à empester tout un salon dès qu’ils y entrent. C’est un mal qui se gagne, une odeur dont on s’imprègne ; et tenez, mon mari, qui a à peine l’âge requis pour occuper son siége à la chambre des pairs, est déjà empoisonné de cette manie. Quand il rentre d’une séance de la chambre haute, c’est comme M. de Mareuilles quand il revient du club des jockeys ; mon mari sent la politique et le vôtre le tabac. J’aime presque autant un capitaine de la garde nationale.

Luizzi cherchait à se rappeler où il avait entendu cette voix, lorsqu’il fut distrait par l’accent mâle et hardi d’une autre femme qui, grandement belle dans toute l’étendue du mot, repartit avec une sorte d’impétuosité passionnée :

— Et que voulez-vous qu’on fasse à notre époque, si on ne se livre pas à la carrière politique ? Le but de tout homme qui a l’intelligence de sa force n’est-il pas, toujours et en tout lieu, d’imposer sa supériorité à ses rivaux, et de se faire un nom et un pouvoir dont on soit obligé de reconnaître l’ascendant ? La carrière politique est la seule qui, aujourd’hui, puisse mener à ce but ; tout homme qui a quelque ambition virile doit donc la suivre.

— À ce compte, dit la jeune femme d’un ton assez aigre, vous eussiez trouvé bon que, dans les jours les plus abominables de la révolution, un homme d’honneur eût recherché ce pouvoir et ce renom dont vous parlez ? Vous eussiez approuvé qu’un vrai gentilhomme se fît, par exemple, le soldat de Bonaparte pour arriver à une épaulette de général ou à un bâton de maréchal, et qu’un marquis de vieille race se fît sénateur pour être comte de l’empire ?

— Assurément, Madame.

— Voilà des sentiments qui m’étonnent de la part de la comtesse de Cerny, de la fille du vicomte d’Assimbret, d’une femme qui porte deux des plus beaux noms de France !

— Et que je ne m’étonne pas, moi, répondit avec dédain la belle femme, de ne pas voir partager à la comtesse de Lémée !

— La comtesse de Lémée ! s’écria Luizzi… Fille Turniquel,