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Cependant quelques jours s’étaient à peine écoulés depuis la première sortie de Luizzi, lorsqu’il reçut une lettre de Barnet, qui avait quitté Paris deux jours après le fameux duel. Dans cette lettre, le notaire conjurait le baron de venir à Toulouse pour mettre ordre à ses affaires, et il lui faisait part d’un projet qui sourit assez à Armand. Le député d’un arrondissement où Luizzi avait ses plus riches propriétés venait de mourir, une nouvelle élection allait être faite. Barnet, qui disposait d’un assez grand nombre de voix, ne voulait les donner, par opinion, ni au candidat de l’opposition extrême gauche, ni au candidat légitimiste ; il ne voulait pas, en outre, pour cause de haine particulière, les donner au candidat ministériel qui avait emporté sur lui une place de receveur particulier que Barnet eût préférée à son étude ; il les offrait donc au baron, à qui il assurait le succès s’il voulait venir lui-même tenter la chance. Le baron fit part de cette lettre à sa famille, dont Juliette faisait presque partie, et ce fut avec un vif sentiment de plaisir qu’il vit pour la première fois cette jeune fille s’animer dans l’expression des vœux qu’elle faisait pour lui et se complaire dans le tableau brillant qu’elle traçait de l’avenir d’un homme politique. Luizzi se laissa d’abord gagner à cet enthousiasme ; mais il se rappela à quelles investigations sont soumis les malheureux candidats, et il eut peur que son passé ne fût pas facile à expliquer à des électeurs bourgeois et très-peu fantastiques. Cependant une étrange découverte et un événement non moins étrange le poussèrent à accepter. En effet, se trouvant quelques jours après chez madame de Marignon, il parla d’un ton assez dégagé de la candidature qu’on lui offrait. Ce fut de tous côtés un concert de félicitations sur sa bonne fortune.

— Vous vous ferez élire, n’est-ce pas ? lui dit un vieux monsieur à figure cambrée et aristocratique ; il serait temps que la France se fît représenter par quelques noms qui pourraient lui rappeler que toute sa gloire n’appartient pas à cette époque. Les Luizzi datent, dans l’histoire, de la guerre des Albigeois ; on les (trouve à côté des Lévis et des Turenne dans ces mémorables événements.

— Il serait temps aussi, mon cher monsieur d’Andeli, reprit madame de Mareuilles, que nos députés ne fussent pas tous des avocats de canton, des médecins de campagne ou des marchands de fer et de cotonnade. Ces messieurs, avec leurs habits marron, leur linge malpropre et leurs mains sans gants, envahissent tous les salons ; ils sont chez le roi, ils sont chez les ministres, ils sont partout, et une pauvre femme ne sait à qui parler, à moins qu’elle veuille discuter l’impôt sur le sel ou le tarif des douanes. Ils ne dansent pas, ils n’écoutent pas, ils ne rient pas.

— C’est vrai ; mais