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madame de Mareuilles regrettait, sinon la personne et la fortune de Gustave, du moins son titre de marquis. D’une autre part, Luizzi avait reçu avec politesse les visites d’abord cérémonieuses, ensuite plus amicales de M. Edgard du Bergh. L’air fin et doux de ce très-jeune homme, qui baissait les yeux comme une fille et parlait d’une petite voix mièvre et flûtée, avait plu à Luizzi. Il l’avait invité à venir pour son compte, et Edgard avait profité de l’invitation. Il en était résulté une espèce de rapprochement par intermédiaires entre Luizzi et M. de Mareuilles ; et le baron, sans envie de pousser les choses plus loin, mais en homme qui sait vivre, consacra sa première sortie à son adversaire, dont la guérison était beaucoup moins avancée que la sienne.

La réconciliation de deux hommes qui s’étaient assez bravement battus l’un contre l’autre pour mêler à leur combat des quolibets, quelque mauvais qu’ils fussent, n’était pas difficile à amener. Mareuilles tendit la main à Luizzi ; ils s’embrassèrent et ne s’en voulurent plus, car ils étaient trop libres de se haïr ouvertement pour se garder une rancune cachée. D’ailleurs ils n’avaient guère voulu que se tuer l’un l’autre, et on ne s’en veut pas dans le monde pour si peu. Si Mareuilles et Luizzi avaient été rivaux pour une cause politique, pour des succès de femmes, pour une supériorité de chevaux ou de coupe d’habit, c’eût été une haine à mort ; mais pour du sang, il n’y avait que des manants qui auraient pu se le rappeler. Après avoir vu Mareuilles, Luizzi demanda à voir madame de Marignon, par laquelle il fut reçu avec cette grâce de bonne compagnie d’une femme qui sait oublier et se souvenir à propos. Luizzi chercha à retrouver dans cette vieille dame si bien tenue, si posée, si digne, la folle Olivia, la libertine Olivia, et il reconnut qu’il y avait, au-dessous de cette apparence de roideur un fond d’indulgence et de facilité qui obéissait aux pruderies dont elle était entourée, mais qui les détestait. Madame du Bergh, qui se trouvait là, remercia Luizzi du bon accueil qu’il avait fait à son fils. Il retrouva madame de Fantan, qui lui annonça que sa fille était mariée, puis la belle madame de Mareuilles. Luizzi sortit de chez madame de Marignon tout à fait raccommodé avec ce monde que le Diable lui avait montré si odieux. D’ailleurs, depuis sa première et fatale maladie, le baron s’était si souvent trouvé en contact avec les vices ridicules et grossiers de la bourgeoisie et du peuple, qu’il se sentit revivre dans l’atmosphère facile et légère de ce salon ; il écouta avec un plaisir tout nouveau cette parole dorée et flatteuse des gens qui ont du savoir-vivre, et il se promit bien de ne plus recommencer ses perquisitions hors de cette sphère élevée.