ce qu’il ne pouvait expliquer autrement. Alors la crainte de voir cette propension de son esprit s’arrêter à une idée fixe et se tourner en démence s’empara tellement du baron, qu’il résolut de ne plus chercher à sonder les mystères de la vie et de continuer à marcher comme le vulgaire des hommes, en se guidant, non plus sur les fausses clartés de l’enfer qui teignaient tout d’une sanglante couleur, mais à l’aide des simples lumières de son jugement, et en regardant les choses et les hommes de leur meilleur côté. Peut-être Luizzi fit-il alors à l’égard du Diable ce qu’Orgon fit à l’égard de Tartufe. Quand l’hypocrite a quitté la maison du bourgeois crédule, celui-ci s’écrie : C’en est fait, je renonce à tous les gens de bien. Une fois que Luizzi voulut chasser de sa tête cette manie d’apprendre, il s’écria en lui-même : Maintenant, je croirai que tous sont gens de bien.
La convalescence assez pénible qui suivit ce grave accident, si rebelle à la guérison, dissipa entièrement toutes les craintes de Luizzi, que la maladie avait exalté jusqu’à une si épouvantable vision. Henri fut pour lui d’une attention extrême. Quant à Juliette, elle lui tint fidèle compagnie, lui faisant des lectures, causant avec une bonhomie, une grâce et une modestie qui ne se démentaient point. Elle n’en avait que plus d’attraits pour le baron ; car à ce charme d’une société douce et facile elle joignait cet enivrement magnétique que le baron subissait toujours malgré lui. Enfin, lorsqu’il fut capable de sortir, il était tout à fait amoureux de Juliette, ou plutôt, pour en revenir à la singulière passion que lui inspirait cette femme, il la désirait comme un séminariste et la redoutait comme un enfant. Un notable changement eut lieu, du reste, dans la position du baron. De même qu’il avait envoyé le marquis de Bridely pour avoir des nouvelles de M. de Mareuilles, de même celui-ci avait chargé le jeune du Bergh de s’informer de la santé d’Armand. Ces visites s’étaient renouvelées chaque jour des deux côtés. Gustave avait trouvé le moyen de dire chez madame de Marignon, où Mareuilles demeurait depuis qu’il était son gendre, qu’il avait, lui, marquis de Bridely, soixante mille livres de rente, et cela sembla une excuse pour les peccadilles passées ; sa tentative d’escroquerie devint une folie de jeune homme à qui l’espoir d’une grande fortune avait permis d’être moins circonspect qu’un pauvre diable, attendu la certitude qu’il avait de pouvoir grandement réparer ses torts. On s’était accoutumé à le voir ; et, s’il n’était pas des intimes de la maison, on laissait cependant échapper avec quelque vanité le nom du marquis de Bridely parmi les beaux noms des jeunes gens qui fréquentaient la maison de madame de Marignon. On murmura même que la belle et jeune