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prenant les mains et en l’attirant, ne fais pas la bégueule, la bonne humeur te viendra.

— Laisse-moi tranquille, repartit Juliette, tu me fais mal ; tu es toujours brutal.

— Tu sais bien qu’il n’y a que toi pour moi au monde, reprit Henri en l’entourant de ses bras.

— Ah ! tu es insupportable, dit Juliette en se laissant aller, ça te prend comme un vertige.

— Viens, viens donc.

— Non, dit Juliette, cette chambre est au-dessus de celle du baron.

— C’est précisément là l’amusant, dit Henri.

Et, enlevant Juliette dans ses bras herculéens, il l’emporta à travers l’appartement, tandis qu’elle disait :

— Henri, quelle idée !… Quelle rage tu as !… Oh ! quel monstre tu fais !

Puis elle reprit soudainement en l’entourant aussi de ses bras :

— Et c’est pourtant pour ça que je t’aime, gredin !

Luizzi les vit s’avancer vers la chambre nuptiale. Ils en franchirent la porte. Dans un mouvement d’indignation et d’horreur, le baron voulut s’écrier, et véritablement il poussa un cri terrible. Mais toute cette vision délirante disparut ; il se sentit plongé dans une obscurité profonde ; il appelait vainement en poussant des cris. Il ne vit plus rien, n’entendit plus rien, ne sentit plus rien. Puis tout à coup il ouvrit les yeux, et il vit… XVIII

RENCONTRES.

Il vit Juliette, Henri et Caroline qui, penchés sur son lit, l’empêchaient de se briser les membres dans les horribles convulsions que le tétanos avait fait succéder à son immobilité. Malgré les douleurs atroces qu’il éprouvait, il avait, comme il arrive souvent dans cette inexplicable affection, la parfaite perception de tout ce qui se passait autour de lui et l’entier usage de sa raison. En voyant Henri et Juliette qui lui prodiguaient des soins empressés, le baron dut se dire qu’il avait été durant quelques heures sous l’empire d’un délire extravagant, et dans ce moment une idée soudaine sembla venir l’éclairer sur le danger de sa position. Il se rappela que déjà, à deux reprises, il avait été pris pour un fou ; il comprit qu’étant sans cesse sous l’obsession des révélations du Diable, toute chose certaine devenait un doute pour lui, toute apparence un mensonge, qu’il traduisait en crimes et en vices tout