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avec action. Le baron écouta, et il entendit comme il voyait. Le son lui arriva droit et net comme s’il n’eût rencontré aucun obstacle où il se brisât, comme s’il eût volé dans un espace vide de tout, excepté de l’air qui doit lui servir de conducteur. Et voici ce qu’il entendit :

— Tu auras beau faire, Henri, tu as envie de me tromper ; je te connais, tu t’es amouraché de cette petite imbécile de Caroline.

C’était Juliette qui parlait ainsi.

— Quelle diable de rage te prend ? répondit Henri. Il faut pourtant que je couche avec ma femme.

— Et si je ne le veux pas, moi ? s’écria Juliette avec fureur.

— Allons, partons ! Je ne demande pas mieux. J’ai en poche les cinq cent mille francs du beau-frère, profitons du moment où il est dans son lit ; en deux jours nous pouvons être hors de France.

— Hier, c’était possible ; mais, aujourd’hui que Barnet est à Paris, ça pourrait être dangereux. Au moindre soupçon, il est homme à courir à la police, à nous dénoncer, et les télégraphes vont plus vite que les malle-postes.

— Mais il sait donc tout, ce vieux serpent de notaire ?

— Il ne sait pas les détails, reprit Juliette ; il ne se doute pas, le méchant gueux, que c’est moi qui avais jeté la lampe sur les habits de Caroline pour la forcer à en mettre d’autres et la pousser à aller à la fête d’Auterive. Personne n’a pu lui dire probablement comment j’ai persuadé à l’idiote que tu étais amoureux d’elle, et comment ta tendre correspondance qui nous servait si bien à nous écrire l’a rendue folle de toi.

— Elle m’aime donc ? dit Henri avec une vanité de taureau.

— Vante-t’en ! repartit Juliette. Va, mon cher, si je ne t’avais pas dicté ta première lettre et si tu n’avais pas fait écrire les autres par ton sergent-major, le beau Fernand qui faisait d’assez jolis vaudevilles, je ne crois pas qu’elle eût jamais perdu la tête pour toi.

— Ces lettres ? dit Henri d’un air méprisant, elles ne sont pas déjà si fameuses. Tu ne peux pas te faire d’idée comme elles m’ont embêté, lorsque le baron me les a remises chez les chouans et que je les ai lues.

— Tu les as pourtant écrites ?

— Copiées ; et je veux que le diable m’emporte si je les comprenais. Mais je les ai étudiées par nécessité, et maintenant je dirais tout comme un autre : Tu seras l’âme de ma vie, le cœur de mon cœur. Je ferais du sentiment platonique par-dessus les maisons.

— C’est ça, dit Juliette, que tu avais mis Caroline dans un joli état la première fois que tu es resté seul avec elle, et je ne sais pas si nous n’étions pas arrivés…

— Parle un peu de ça, toi ! tu étais rouge comme un coq quand tu es rentrée avec le baron.

— Oh ! moi, c’est différent.

— Hein ? fit brutalement Henri.

— Que veux-tu, mon cher ? dit Juliette, le baron est joli homme, il a deux cent mille