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— Mon frère pense sans doute que c’est inutile ?

— Pourquoi donc ? répondit aigrement Juliette ; personne ne peut donner au baron de meilleurs soins et de plus assidus. Une religieuse s’entend à panser des blessures.

— Mais n’avez-vous pas été religieuse aussi ? reprit Gustave d’un ton moqueur.

— Croyez-vous, repartit Juliette en prenant un air de dignité blessée, qu’il serait convenable que moi je demeurasse dans la chambre d’un homme ?

— Cela serait du moins généreux, dit Gustave en montrant de l’œil Henri à Caroline.

Juliette se mordit les lèvres avec colère et ne répondit pas.

— Je resterai, dit Caroline, je resterai, je le veux ; et, comme il se fait déjà tard, vous allez vous retirer… je vous en prie.

— Allons, Henri, dit Gustave… allons, résignons-nous, mon cher…

Henri sortit d’un air dépité, tandis que Juliette le suivait d’un regard ardent et curieux. À peine furent-ils hors de la chambre que Juliette s’approcha de Caroline et lui dit :

— Je resterai dans la maison, je me jetterai tout habillée sur mon lit, et, si tu as besoin de moi, monte, je serai prête.

Puis elle se tourna vers le baron ; et, se penchant sur lui assez près pour que la chaleur de son haleine le fit tressaillir, elle lui dit à voix basse :

— Bonne nuit, monsieur le baron ! Bonne nuit, Armand !

Luizzi écoutait encore cette voix vibrante et passionnée qui venait de lui jeter son nom comme un aveu, que Juliette avait déjà disparu. Resté seul avec Caroline, il réfléchit à tout ce qu’il avait cru voir et entendre d’équivoque dans cette journée. Mais ce n’étaient que des gestes imperceptibles, des regards furtifs, des mots interrompus qu’il se fatiguait vainement à ressaisir, et qui lui échappaient sans cesse. De temps en temps, sa raison le reprenait assez pour qu’il se dît que son imagination, exaltée par la fièvre, prêtait un sens caché à mille petits accidents qui n’en avaient aucun. Mais presque aussitôt, cette tourmente de son esprit recommençait. Tous ces petits accidents passaient et repassaient devant lui comme les débris d’un naufrage que les vagues promènent çà et là dans l’ombre, sous les yeux du naufragé qui, debout sur un rocher, tente vainement d’en saisir quelqu’un. Le vertige physique que le naufragé finit par éprouver gagnait insensiblement la pensée de Luizzi. Il le sentait, il voulut s’y arracher, et, ne pouvant détourner son attention des doutes qui flottaient en lui, il résolut de les éclairer et saisit sa sonnette. Cependant il regarda Caroline assise au pied de son lit dans un large fauteuil : elle s’était insensiblement assoupie. La voix et la présence du Diable n’étaient d’ailleurs perceptibles que pour le baron. Il agita son