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m’avez donné une lettre de recommandation pour madame de Marignon. J’ai été à votre compte l’instrument d’une petite vengeance, instrument qu’aujourd’hui vous voudriez bien jeter de votre salon dans la rue, mais il n’en sera pas ainsi, mon cher Monsieur. J’ai un titre plus noble que le vôtre. J’ai une fortune presque aussi considérable, car j’ai gagné mon procès comme légitime héritier de feu le marquis de Bridely ; je suis aujourd’hui par jugement irrévocable marquis de Bridely, et je ne souffrirai pas, je vous prie de le croire, des airs que je n’aurais pas soufferts quand j’étais le comédien Gustave, fils adultérin d’Aimé-Zéphirin Ganguernet et de Marie-Anne Gargablou, fille Libert.

En disant ces paroles d’une voix basse, mais ferme, Gustave s’était approché de Luizzi avec un regard menaçant.

— Tout cela ne me fera pas oublier, lui répondit froidement le baron, que vous devez votre titre et votre fortune à une basse friponnerie…

— Basse friponnerie que vous avez trouvée charmante quand elle vous servait…

— Mais enfin, Monsieur, que voulez-vous ?

— Je vais vous le dire. Notre affaire est la même en cette circonstance, nous ne pouvons pas la séparer. M. de Mareuilles ne doit pas pouvoir répéter impunément de telles accusations contre vous et contre moi. Ou je me battrai avec lui, et je vous jure que je saurai bien l’y forcer, et alors vous serez mon témoin dans cette affaire ; ou vous vous battrez contre lui, et je vous accompagnerai.

— Je refuse.

— Prenez-y garde ! dit Gustave avec le sang-froid d’un homme pour qui un duel est une chose d’assez peu d’importance pour pouvoir en calculer exactement les résultats ; prenez-y garde ! Me refuser pour témoin, et je le ferai savoir à M. de Mareuilles, c’est dire que vous avez commis la mauvaise action qu’il vous reproche ; m’accepter, c’est paraître persuadé de la loyauté de ce que vous avez fait, c’est avoir affirmé en ami ce qui est maintenant une vérité légale et incontestable, c’est m’avoir cru ce que je suis, le marquis de Bridely.

Luizzi réfléchit, puis il reprit tout à coup :

— Vous auriez peut-être raison, si vous n’oubliiez point qu’il a été question d’une affaire d’escroquerie qui ne déshonore pas moins M. le marquis légal de Bridely que M. le comédien Gustave.

— Allons donc ! fit Gustave ; j’ai été renvoyé de la plainte d’escroquerie sans jugement ; ne faites pas tant le difficile, vous qui avez été absous comme fou pour assassinat !

— Quoi ! vous savez ? s’écria Luizzi avec épouvante.

M. Niquet était le notaire de la famille qui a plaidé contre moi.

— Et M. Barnet ?…

— Mon cher Monsieur, un hasard bien extraordinaire m’a appris cette circonstance. C’est une singulière histoire, je vous jure !