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seule amie en qui elle croie en ce monde lui persuade qu’elle est aimée par un jeune homme qu’elle rencontre par hasard ; supposez que ce jeune homme consente à entretenir cette erreur par tous les moyens possibles, par la poursuite la plus persévérante et la correspondance la plus passionnée, et figurez-vous que, lorsqu’il a obtenu un aveu de la pauvre fille abusée, il l’abandonne sans raison…, car la comédie est jouée, car il n’a plus besoin d’elle pour servir de voile à son intrigue avec l’amie de l’infortunée jeune fille.

— Oh ! certes, c’est affreux, dit Luizzi ; mais un tel crime a-t-il pu se commettre ?

— Oui, oui, répondit Juliette avec une expression étrange, et les détails de cette trahison vous étonneraient grandement. Mais vous devez comprendre qu’il me soit pénible d’en parler…

— Sans doute, dit Luizzi qui entrevit une issue pour échapper à ces confidences sentimentales, et je comprends maintenant votre étonnement douloureux lorsque je vous ai demandé si vous ne portiez pas envie à ces amants qui sont si heureux près de nous.

Juliette sourit, et se rejeta en arrière en reprenant cette posture séduisante à laquelle elle se laissait aller avec un abandon tel qu’il devait laisser supposer que la jeune fille ignorait ce que cette pose avait de provoquant. Elle attacha son regard perçant sur le baron, et mille expressions diverses passèrent sur son visage en quelques secondes. Puis toute cette agitation se calma, pour faire place à une contemplation longue et ardente qui troubla Armand, et lui rendit ce tumulte de ses sens qui le dominait un instant auparavant. Il s’approcha de Juliette et se trouva presser doucement son corps contre le sien ; la jeune fille resta immobile et ne baissa pas les yeux.

— Juliette ! murmura doucement Luizzi, oh ! dites-moi : pour un amour trahi renoncerez-vous à tout amour ?

— Et à quoi me servirait d’aimer ? dit Juliette d’un ton légèrement ému ou railleur.

— C’est que vous ne savez pas que l’amour a des plaisirs enivrants, et que, de toutes les femmes que j’ai rencontrées, il n’en est aucune dont la présence me l’ait fait si puissamment éprouver que vous.

Juliette ne rougit pas, mais elle parut piquée ; puis elle se remit, et, agaçant Luizzi par un sourire qu’elle semblait vouloir cacher en mordant doucement ses lèvres frémissantes, elle reprit :

— Et ces plaisirs enivrants, pourriez-vous me les apprendre ?

Cette question eût été d’une trop franche coquine si elle eût été dite avec intention, pour ne pas être d’une naïveté presque ridicule.

— Vous les apprendre, Juliette ? repartit Luizzi en s’approchant